SNCF/RFF : une petite vision sur la dette qui passe mal chez les cheminots

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On s'en doutait, notre chroniqueur ferroviaire ne pouvait pas laisser passer l'annonce du rapprochement entre la SNCF et RFF sans y mettre son grain de sel.
Disons plutôt son coup de Pat !

SNCF/RFF : une petite vision sur la dette qui passe mal chez les cheminots
« Papa, Maman, la bonne et moi » ou « le canard est toujours vivant ». Les lecteurs de 50 ans et plus se souviennent de ces phrases récurrentes des sketchs de Robert Lamoureux. Dans l’actualité ferroviaire du moment, on pourrait transposer par «Sncf, Rff, le Ministre et moi Pepy» et surtout en guise de canard également toujours vivant, «la dette». Et quelle dette ! 3 milliards d’euros quand même, progressant d’un milliard à un milliard et demi par an. Dette qu’il est seulement question pour le moment de stabiliser. Chose promise par la reconstitution d’un pôle public unifié, autrement dit pour faire simple, Sncf reprenant le contrôle de Rff.

Cela va sans dire, mais encore mieux en le disant, la dette qui est au centre de notre système ferroviaire, n’est pas une dette de la Sncf en tant qu’exploitant. Bon an, mal an, l’établissement public reverse au budget de l’Etat quelques centaines de millions d’euros de bénéfice. Il s’agit d’une dette d’infrastructures. Pas de l’argent perdu, jeté par les fenêtres, mais des dépenses en échange desquelles la collectivité nationale s’est dotée d’un réseau ferré utile à son économie et à l’aménagement de son territoire.

On supprime Rff (plus exactement on l'intègre à la Sncf) mais la dette est toujours là. On pourrait supprimer Sncf que la dette serait également toujours là. La quadrature du cercle financier ! Pour mémoire et en comparaison, les avions se posent sur des plateformes aéroportuaires qui n’ont pas été mises à la charge des compagnies aériennes. Tout comme l’entreprise de transport routier propriétaire d’un 38 tonnes roule sur une route ou une autoroute dont elle n’a pas réglé le coût de construction (pas plus que le bénéficiaire du transport d’ailleurs).

Cette réunification Rff / Sncf, Guillaume Pepy la voulait. La Cgt aussi mais sans doute pas pour les mêmes raisons. Sud et Cfdt de même (cette dernière s’interrogeant quand même sur le sort comptable de la dette). Parmi les 4 organisations syndicales de cheminots, il n’y a que l’UNSA (paradoxalement le syndicat qui a une bonne audience dans l’encadrement) qui mange son chapeau, ayant été de ceux qui, en 1997, avaient soutenu la partition de l’exploitation et de l’infrastructure. Côté Rff, d’«anciens responsables de haut niveau de la Sncf», (sic), des Pepy bis en souffrance ou en puissance, ont rédigé un manifeste (à retrouver ici pour ceux que cela tente). Histoire pour Rff de ne pas capituler sans combattre.

Côté "mauvais coucheurs" capables de bousculer cette belle entente entre l'Etat et Guillaume Pepy : la Fnaut, principale fédération d’associations d’usagers des transports, quoique ayant mis de l’eau dans son vin puisque passée d’un farouche discours d’opposition (son communiqué de presse du 27 septembre) à une plus diplomatique «prise d’acte» (son communiqué du 30 octobre).

Bref, derrière le débat maintenant tranché sous réserve toutefois de comptabilité européenne, il subsiste des points de vue différents et peut-être même des rancœurs.

La partie suivante va se jouer sur la mise en œuvre de la feuille de route gouvernementale. Feuille de route dont certains observateurs se demandent d’ailleurs si ce n’est pas davantage celle de Guillaume Pepy, Président de la Sncf, que celle du gouvernement ! La garantie du Statut des cheminots a été une nouvelle fois gravée dans le marbre. Ce n’est pas le premier gouvernement à l’entendre et l’annoncer ainsi. Mais pourtant, en même temps, est annoncée la perspective rapide d’une nouvelle réglementation du travail réécrite dans le cadre d’une convention collective, commune à tous les opérateurs ferroviaires.

Cette nouvelle réglementation ne vise pas le temps de travail global (tout le secteur travaille au régime légal des 35 heures, depuis longtemps annualisé), mais les règles d’utilisation du personnel. Aujourd’hui, les dispositions applicables se déclinent au sein de la Sncf par un texte « maison » que tout cheminot connait aussi bien sinon mieux que le Statut, le RH0077 – Règlementation du travail. Ensemble de règles, parfois complexes (une cinquantaine au total) déclinées par régime de travail : personnel roulant, personnel sédentaire, personnel non soumis à tableau de service (l’encadrement).

Ce RH077 est encensé par les cheminots. C’est pourtant un patchwork de flexibilité (organisation du travail 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, droit à congés très régulé en période estivale, succession de repos hebdomadaires réduits à une seule journée de calendrier, dépassements de la durée du travail pour cause accidentelle, etc.). Une grande flexibilité est en effet nécessaire pour assurer la continuité et la permanence de l’activité.

Mais par rapport à ces nécessités (il suffit de qualifier de « service public » pour que tout le monde soit rapidement d’accord), le RH077 protège aussi en ce sens qu’il fixe précisément des taquets, des limites à ne pas dépasser. Ainsi un cheminot pourra souvent travailler six jours de suite, mais pas un septième jour. S’il est amené à travailler souvent le dimanche, la réglementation lui garantit quand même un minimum de 12 repos dominicaux dans l’année. Si son repos hebdomadaire peut être ponctuellement limité à une seule journée de calendrier, il devra quand même s’écouler un minimum d’heures, entre la fin de service le jour A et la prise de service le jour C. La durée du repos journalier minimal est également précisément codifiée (8 heures seulement dans le cas de figure le plus rigoureux). Et ainsi de suite. Autant de contraintes, de limites plus exactement, pour organiser les prises de service, les repos, les remplacements…

Au nom (ou à cause) du RH077, il peut s’avérer par exemple indispensable d’organiser la relève d’un conducteur alors qu’il ne resterait que quelques minutes de conduite et peu de kilomètres à parcourir avant d’arriver à destination. L’organisation de la production s’en trouve parfois singulièrement compliquée et à première vue, peu économe de moyens.

Les cheminots, ceux de la Sncf, craignent donc que leur réglementation du travail ne résiste pas aux coups de boutoir des nouveaux entrants censés faire preuve d’une plus grande efficacité économique là ou la Sncf peine. Et comme les nouvelles règles deviendront les leurs aussi au nom de l’harmonisation des règles de concurrence, qu’il y ait finalement davantage encore d’imprévisibilité dans leurs prises et fins de service et que de la souplesse soit encore rajoutée là ou de fait il y en a déjà beaucoup.

D’où la revendication unanime des 4 syndicats représentatifs de cheminots (Cgt, Unsa, Sud, Cfdt) pour que tout le secteur ferroviaire, historique public comme nouvel entrant privé, soit soumis au RH077 actuel, point barre.

Mais c’est compter sans Guillaume Pepy qui entend tout faire pour qu’il n’en soit pas ainsi. Le principal syndicat patronal du ferroviaire, négociateur de la convention collective – Union des Transports Publics – étant présidé par le Président de Keolis, filiale de Sncf, ça devrait l’aider.

Et pourquoi donc G. Pepy ne veut-il pas d’une extension, en l’état voire au plus près possible, de la réglementation du travail à laquelle l’entreprise qu’il dirige est depuis longtemps soumise? Parce que, selon lui, ce serait gâcher toutes les économies possibles et ruiner par avance la réforme devant ouvrir la voie au redressement économique du secteur ferroviaire dans son ensemble. Etrange. Car, vu comme ça, ce ne serait donc pas ou pas seulement une dette d’infrastructure ?

Admettons. Mais resterait alors à identifier quels taquets du RH077 empêchent réellement de faire rouler les trains sans y laisser un bras ? !

Les partenaires sociaux seraient sans doute, même si ce n’est qu’au bout du bout et par la force des choses, pas complètement fermés à des discussions. Mais encore faudrait-il pouvoir leur proposer des modifications pertinentes. C'est-à-dire des adaptations de la réglementation actuelle pour répondre de manière utile aux besoins d’un trafic qui autrement ne pourrait être que perdu pour des raisons de coût nécessaire à sa réalisation. Guillaume Pepy aura bien du mal convaincre et fédérer autour de lui s’il s’agit d’abandonner les règles actuelles, sans aucune démonstration concrète qu’un trafic puisse être développé ou sauvegardé. En outre, il se méprend ou surestime très certainement sur les marges de manœuvre possibles et réellement contributives pour l’amélioration des performances économiques.

En défendant leur RH077, les salariés de la Sncf, levés à 4 heures du matin, couchés à pas d’heure, rarement chez eux quand leur famille y est… ne défendront pas des avantages mais voudront garder des limites. La partie est donc loin d’être gagnée pour le patron de la SNCF.

Pourtant, force est de constater que pour contenir la dette, il n’y a pour l’heure pas d’autre levier à utiliser que ce « gagne-petit » sur la réglementation du travail. Où alors repenser l'ensemble de l'offre. C'est une autre histoire !

Aujourd'hui, le canard est toujours vivant.

PAT