SNCF : pour comprendre l’appel à la grève du 13 juin prochain

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Après avoir été reçues le 22 mai dans le cadre d’une « Demande de Concertation Immédiate » (D.C.I.)*, les 4 fédérations syndicales représentatives de cheminots (Cgt, Unsa, Sud, Cfdt) appellent à la grève pour le jeudi 13 juin.

 SNCF : pour comprendre l'appel à la grève du 13 juin prochain
Loïc Hislaire, le Directeur Délégué aux relations sociales de l’établissement public Sncf, aura eu beau jeu de souligner que l’essentiel des motivations de cette D.C.I. relevait des prérogatives du Gouvernement et du Parlement autour de la réforme de l’organisation du système ferroviaire. Certes, dans leur communiqué de presse, les organisations syndicales motivent leur appel à la grève par un appel direct à la réunification du système ferroviaire (là où les pouvoirs publics n’écartent pas l’hypothèse de trois établissements publics aux liens renforcés). Pour autant, il ne serait pas prudent d’ignorer la bonne dose de griefs qui complète cet appel à la grève et qui relève cette fois davantage du périmètre de l’entreprise :

« Les fédérations Syndicales de cheminots CGT – UNSA – SUD-Rail – CFDT réclament au Gouvernement une réunification du système dans le cadre d’une entreprise intégrée SNCF.
Elles exigent que la Direction de la SNCF stoppe sa politique de démantèlement du service public et de casse des conditions sociales des cheminots.
Contrairement aux annonces d’austérité faites au Conseil d’Administration, nos Organisations Syndicales revendiquent une revalorisation rapide des salaires, une révision à la hausse des effectifs, un moratoire sur les restructurations et réorganisations envisagées dans tous les services de la SNCF et à RFF ».

De la réforme ferroviaire, beaucoup de choses ont été dites et des rapports déposés mais un rapport et même plusieurs comme ici, n’ont jamais fait la loi. Sur ce registre là, le cheminot lambda appelé à la grève ne sait donc - pour l’heure - pas grand-chose de ce sur ou contre quoi il est appelé à se mobiliser.

Mais, à la Sncf, une organisation syndicale qui prendrait le risque de s’isoler dans un tel contexte d’incertitude aurait beaucoup de mal par la suite à justifier sa prudence si les affaires se présentent finalement mal pour le corps social qu’elle représente. C’est en grande partie ce qui justifie cette unité syndicale contre ce qui n’est encore aujourd’hui présenté que sous forme de rapports.

Prendre date sur le terrain social est en effet la condition sine qua non pour peser par la suite. Oh, c’est un fusil à un seul coup ! Si leur appel à la grève n’est pas suffisamment suivi, les fédérations n’auront alors guère d’autre choix que d’observer d’assez loin les débats parlementaires. Mais au-dessus de 35 % de grévistes, le terrain aura été préparé à une ou plusieurs journées de grève sur le même sujet « jusqu’à plus soif » au fur et à mesure des décisions sur la réforme, pour peu qu’elles prennent peu ou prou à rebrousse-poil le corps social cheminot.

Les plus grands conflits sociaux à la Sncf, sur plusieurs jours voire semaines, n’ont jamais rassemblé plus de 42 % des effectifs en rythme de croisière. Et la complexité des enjeux a souvent conduit dans le passé à ce que le mot d’ordre se réduise rapidement à «retrait de la réforme», «retrait du plan», etc. ce qui ne favorise pas le compromis et la nuance.

Au soir du 13 juin, bien malin sera celui qui pourra dire quelle est la proportion des grévistes se mobilisant contre une réforme dont les contours réels sont encore obscurs, nécessité du débat public et démocratique oblige, et celle de ceux qui se seront plutôt affirmés en opposition aux orientations quotidiennes de leur direction locale, régionale ou nationale. Ce qui n’empêcherait d’ailleurs pas ces derniers de s’intéresser ensuite à la réforme.

Cette grève est bornée sur 24 heures. Pourtant, il y a au moins une organisation syndicale (Sud Rail) qui ne goûte pas trop ces actions de 24 heures non reconductibles qu’elle qualifie de «sans lendemain», ce en quoi sur le principe elle a de l’écho parmi le personnel, échaudé par les appels fréquents à des journées d’action. Bon an mal an, pas moins de 2 à 4 fois par an à la Sncf !

Un bon taux de grévistes, même seulement limité à une région, une catégorie professionnelle, emporte donc comme à chaque fois le risque de reconduction immédiate ou rapprochée du mouvement social. Tous les grands conflits sociaux à la Sncf ont commencé ainsi. Une grève nationale, peu ou prou suivie, suffisamment en tout cas dans certains secteurs plus revendicatifs que d’autres, sur laquelle s’embraye un conflit local ou régional dont le préavis a, à toutes fins utiles, été déposé à l’avance au cas où. Et il suffit ensuite de deux ou trois secteurs stratégiques de l’entreprise encore en grève pendant quelques jours, même très partiellement, pour que le mouvement se généralise à partir des braises qui n’ont pas été éteintes au soir du premier jour.

La demande de «moratoire» sur les réorganisations en cours est assurément suffisamment concrète, parlante et fédératrice parmi les cheminots pour alimenter un tel embrasement.

PAT.

(*) Préalable indispensable avant tout dépôt d’un préavis de grève en application de la loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports