Sia : une nouvelle étude sur les défis de l’intégration urbaine des gares

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Nous publions très régulièrement ici les analyses et études de SIA Partners, un cabinet indépendant de conseil en management et stratégie opérationnelle. Ce nouveau travail de SIA évoque l'évolution des gares qui deviennent des centres de travail et d'affaires en plus de leur fonction ferroviaire de base.

Les gares sont en train de changer radicalement sous l’effet de plusieurs facteurs. L’un des principaux est le fait que la population ne cesse d’augmenter alors que l’espace disponible en gare reste souvent contraint. Pour s’adapter à cette nouvelle donne démographique, l’investissement doit permettre la création ou l’optimisation des espaces. Ces aménagements sont souvent nécessaires pour assurer un niveau de service satisfaisant pour le voyageur.
Au-delà, les gares implantées en zone urbaine, sont souvent considérées comme trop détachées des quartiers environnants. Il est donc aussi nécessaire d’intégrer davantage ces zones d’échanges dans l’économie urbaine. Ce qui nécessite également d’importants investissements. Ainsi, en France, Gares & Connexions, filiale du groupe SNCF en charge de la gestion des gares, estime avoir besoin d’augmenter sa capacité de financement de 25% pour atteindre les 2,5 milliards d’euros d’investissements en gare prévus sur la période 2013-2020. L’objectif est clair : être capable de répondre aux besoins des voyageurs, mais également des villes dans lesquelles les gares les plus importantes sont implantées.
Mais comment réussir l’intégration urbaine des gares tout en maîtrisant les investissements réalisés ? Et comment identifier, sélectionner et prioriser les investissements à consentir ? Autant de questions qui peuvent être résolues pour les gestionnaires des gares au travers d’une forte collaboration avec les acteurs locaux, et au travers d‘investissements financiers certes importants mais réfléchis, intégrant une réflexion sur l’évolution du rôle des gares à long terme.

Des gares intégrées à leur quartier et lieux d’échanges privilégiés

1. Intégrer la gare et la voie ferrée au cœur du quartier
Le concept même de la gare a aussi évolué au cours des dernières années : il ne s’agit plus seulement d’un lieu de transit mais d’un espace multiservices, véritable “centre de la ville” ou du quartier.

Les gares en Europe possèdent des profils différents, selon le type et le nombre de personnes utilisant ces espaces. On distingue ainsi les voyageurs d’affaires, les voyageurs loisirs, et les voyageurs pendulaires utilisant le transport ferré au quotidien pour se rendre sur leur lieu de travail. Chacun de ces profils a des besoins différents, et la gare doit ainsi s’adapter en fonction de ces utilisateurs

Mais la gare accueille aussi, en plus des voyageurs, les chalands, riverains ou accompagnateurs de voyageurs, qui viennent profiter des commerces, des services ou des zones de travail disponibles en gare. D’autres ne font que traverser le lieu pour se déplacer dans le quartier ou rejoindre un autre mode de transport. La gare n’est donc plus seulement un “point nodal” sur un axe de transport et son aménagement doit être adapté en conséquence.

Les gares sont d’ailleurs souvent intégrées dans les politiques d’aménagement du territoire puisqu’elles permettent de rééquilibrer ou de densifier le paysage urbain dans lequel elles sont implantées en modifiant par exemple l’aménagement de leur parvis ou l’architecture des bâtiments voyageurs. La gare doit permettre de faciliter la circulation au sein de la ville et devenir un lieu d’échanges et de rencontres. Elle permet aussi de répondre aux besoins de tout un bassin de population autour de leur lieu d’implantation en proposant de nouveaux services aux riverains (commerces, services publics, évènements culturels, …).

Ces projets de rénovation et d’intégration des gares au centre des villes nécessitent la coordination de nombreux acteurs : gestionnaire de gare, gestionnaire des infrastructures ferroviaires, transporteurs, financeurs publics et privés, collectivités locales, autorités organisatrices du transport, et représentants des riverains seront tous impliqués à un moment donné. Il en résulte des projets multi acteurs complexes à coordonner. Mais les impacts d’une nouvelle gare ou d’une gare rénovée sont visibles sur le quartier et la ville qui l’entoure, De nombreuses illustrations existent en Europe. On peut citer par exemple la gare de Turin, inaugurée en Janvier 2013, qui est construire autour d’une grande galerie couverte, avec de multiples ouvertures transversales pour permettre aux piétons de circuler d’un quartier à l’autre. Elle abrite de nombreux commerces, services et restaurants et constitue donc un espace de vie en plus d’un pôle de transport.

Un autre exemple est celui du quartier Euralille, bâti dans les années 90 autour de la gare internationale Lille Europe (Eurostar vers l’Angleterre et Thalys vers la Belgique et les Pays-Bas). Autour de ce nouveau pôle de mobilité s’est construit un centre commercial en plein cœur de la ville et de nombreux immeubles de bureaux, faisant des environs de la gare le troisième quartier d’affaires de France après La Défense (Paris) et La Part-Dieu (Lyon).

2. Proposer des commerces et services adaptés
Dans l’optique de ces nouvelles gares au centre de la ville, les gestionnaires de gare cherchent de plus en plus à développer des espaces commerciales pour répondre aux besoins des différents usagers.
Ainsi une majorité des gares en France aujourd’hui est destinée à des voyageurs effectuant des trajets pendulaires entre leur domicile et leur lieu de travail. Ces voyageurs recherchent en gare des commerces particuliers : vente de produits du quotidien (produits frais, produits d’hygiène), pressing, retrait de colis, et autres services qu’il est pertinent d’utiliser sur ce type de trajets ou que l’on souhaite trouver à proximité de son domicile pour les riverains.

Au cœur de ces différentes innovations pour les voyageurs pendulaires, une expérimentation s’inscrit particulièrement dans cette optique : SNCF Transilien teste depuis l’automne 2012 le travail bilocalisé en gare. Des bureaux sont mis à disposition des collaborateurs de l’entreprise souhaitant réduire leur temps de trajet. En contrepartie ces derniers s’engagent à aider le personnel de gare en cas d’incident. Ce dispositif est pour l’instant réservé à un usage interne mais il est probable que de nombreuses entreprises parisiennes soient prêtes à payer pour un tel service.

A l’inverse, certaines grandes gares, situées dans le cœur des villes, ont pour ambition d’attirer au sein de leurs espaces des clients non voyageurs : la gare devient parfois un véritable lieu de vie. La gare de Malaga en est un exemple, puisqu’il est possible d’y retrouver, en plus d’un centre commercial, un hôtel quatre étoiles, un cinéma et même un boulodrome. La gare doit offrir une nouvelle expérience aux clients, tant par les services qu’elle propose que par la facilitée à y accéder. C’est ainsi que l’on voit se développer un mouvement de digitalisation des espaces au sein des gares, très semblable à celui observé au sein des centres commerciaux. Écrans, plans interactifs, bornes « Happy or not » pour mesurer en temps réel la satisfaction client sont autant de témoins de ces nouvelles interactions qui se développent via l’usage des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication).
Les voyageurs d’affaires ne sont pas oubliés puisque des centres d’affaires apparaissent aussi en gare pour accueillir cette catégorie particulière de clients souhaitant bénéficier d’espaces de travail pour des courtes durées. Après la gare du Mans en 2012 et celles de Bordeaux, Nancy et Amiens en 2013, ce sont les gares de Paris Nord et Lille Flandres qui devraient voir apparaitre ces nouveaux espaces en France en 2014.

Ces exemples, bien qu’encore rares, illustrent parfaitement la tendance actuelle. La gare devient un lieu d’échange majeur, accessible facilement grâce aux transports qu’elle propose.

3. Développer l’intermodalité
Car c’est l’autre grande tendance de ces nouvelles gares : elles deviennent de véritables centres d’échanges multimodaux.
Au-delà des transports ferrés interurbains (TGV, TER, trains du quotidien, …), de nombreux autres modes de transport se rejoignent dans ou autour des gares. Les réseaux de transport en commun locaux (métro, tram, bus), le transport routier individuel (stations de taxis, parkings longue durée), le vélo (pistes cyclables, parking à vélos, vélo-partage) ou l’accès piéton sont autant de moyens de se rendre dans ces nouveaux centres de ville. Par exemple à l’occasion de la rénovation de la gare de Kerpen-Horem, en Allemagne, un Parking Relais de 1 000 places (parkings situés en périphérie des agglomérations, donnant accès à une ligne de transport directe vers le centre-ville) et une station vélos intégrée de 420 places ont été construits. La station de bus a également été rapprochée de la gare, et des écrans digitaux ont été ajoutés pour améliorer l’information voyageurs multimodale. L’ensemble permet de créer un nœud d’échanges plus compact, lisible, et efficace.

Il en résulte de nouveaux défis pour les gestionnaires de gare : comment guider le voyageur dans ces lieux devenus des “hubs” de transport ? Tout un travail sur la signalétique et l’information voyageurs doit être réalisé pour faciliter la transition d’un mode de transport à un autre. L’augmentation du nombre de voyageurs doit en effet s’accompagner d’un saut qualitatif dans le parcours client pour que celui-ci ne se sente pas perdu entre la diversité des services proposés et son objectif premier (rejoindre un transport, profiter des commerces en gare, …). Les innovations se succèdent dans ce domaine et mettent à profit les nouvelles technologies. On peut citer par exemple l’application Gares 360 de Gares & Connexions qui permet de visiter certaines gares à distance sur son smartphone et de repérer ainsi à l’avance son trajet dans et autour de la gare. Autre exemple : les totems digitaux présents dans certaines gares permettent également de se repérer et d’identifier les emplacements de l’ensemble des services disponibles, ainsi que des informations complémentaires sur ces services (horaires, produits…).

Une mutation qui réclame certains points d’attention pour réussir

1. Impliquer fortement l’ensemble des acteurs
La création de réels pôles d’échanges multimodaux intégrés à la ville ne peut être entreprise sans une volonté forte de l’ensemble des acteurs impliqués.
On retrouve en premier lieu les gestionnaires des gares, mais également les élus locaux et dans une moindre mesure les transporteurs. Chacun peut être à l’origine de la naissance d’un projet de grande envergure, mais celui-ci ne peut se construire que progressivement, en considérant tous les points de vue. Il s’apparente en effet souvent davantage à un projet global urbain qu’uniquement concentré sur l’actif qu’est la gare. Le projet d’urbanisme Toulouse Euro-Sud-Ouest a par exemple pour ambition de préparer l’ensemble du quartier autour de la gare de Toulouse Matabiau à l’arrivée du TGV prévue en 2024. Celle-ci s’accompagnera en effet d’un doublement des flux de voyageurs. L’impact sur les quartiers environnants la gare sera majeur et il est nécessaire de l’anticiper dès à présent. Il est donc important que l’amplitude des travaux dépasse largement le simple périmètre de la gare.

Malgré la complexité qui résulte des intérêts parfois divergents de la commune de Toulouse et de l’exploitant des gares – ici Gares & Connexions –, l’implication des élus locaux est indispensable et doit être motrice. En effet, les impacts sur la ville sont considérables, en termes de démographie (5 000 à 10 000 logements pourraient voir émerger aux abords du site), d’activité (un quartier d’affaires devrait voir le jour) et de rayonnement national. Ils nécessitent par conséquent l’approbation des pouvoirs publics locaux.
L’intégration urbaine de la gare et sa transformation en pôle d’échanges multimodal ne doivent cependant pas masquer la réalité de l’exploitation ferroviaire, quotidienne, et les travaux de maintenance nécessaires.

Les gestionnaires de gare doivent donc être capables d’anticiper les investissements à réaliser au sein de leurs actifs, et à les prioriser en fonction des nécessités d’urgence dans un premier temps, comme la rénovation du patrimoine lorsqu’il est fortement dégradé, puis dans un second temps en fonction des orientations stratégiques. Celles-ci impliquent d’avoir une vision précise de ce que devra être la gare à long terme, afin de prioriser les projets et de les répartir efficacement dans le temps. Ainsi, les vastes projets d’intégration urbaine peuvent être une opportunité pour réaliser des travaux parallèles, comme certaines mises en conformité réglementaires, qu’il aurait été plus coûteux de réaliser de manière isolée. Aux gestionnaires donc d’anticiper ces évolutions et de rationaliser les investissements réalisés.

2. Réussir un financement pérenne des travaux
Toutes les transformations que nous avons mentionnées nécessitent bien entendu des budgets conséquents, de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros pour chaque gare. Il est donc nécessaire de réfléchir au financement du projet, mais également aux dispositions permettant de l’amortir à long terme.
Dans le cadre de projets de gares intégrés à des projets urbains, l’investissement en fonds propres du gestionnaire est complété par des subventions publiques. Celles-ci reflètent notamment la volonté des institutions locales d’intégrer les nœuds d’échanges intermodaux au sein de leurs villes. Des initiatives nationales peuvent également permettre de déclencher des projets de transformation des gares grâce à des financements étatiques. Par exemple, en 2012, le gouvernement écossais a débloqué 30M£ dans un programme d’investissement pour l’amélioration des gares existantes et la construction de nouvelles gares. Souvent associés à des plans de relance économique, les bénéfices pour l’Etat sont multiples à l’échelle nationale : une création d’emplois dans le secteur du BTP, et une stimulation de la consommation à court terme, et à plus long terme une augmentation de la part du ferroviaire dans les transports par rapport à la voiture, une amélioration de l’attrait de certaines régions et une transformation du paysage économique.

Au-delà du financement du projet en lui-même, il convient en amont de réfléchir la gare comme future source de revenus. Deux tendances se dégagent : le développement des commerces en gares pour “monétiser” les espaces disponibles, et la “captation de valeur”, qui consiste à récupérer une partie de l’augmentation de valeur apportée au quartier par la nouvelle gare.
La création de commerces est le seul véritable levier financier pour le gestionnaire de gare à moyen terme. En effet, ses revenus se décomposent en deux parties : les redevances des transporteurs, très encadrées, donc avec une marge d’augmentation très faible, et les redevances des locataires et commerces, dont les loyers sont librement fixés par le propriétaire foncier de la gare. Plus la zone sera attractive, plus le chiffre d’affaires potentiel des emplacements sera important, et plus les commerçants seront prêts à consentir un loyer élevé.
La gare et la ville sont toutes deux gagnantes à contribuer à l’amélioration qualitative du quartier. La réflexion autour du type de commerces, de la surface allouée, ou de leurs emplacements, doit être menée conjointement pour en assurer la cohérence au-delà des murs de la gare sur l’ensemble de la zone de chalandise et empêcher une possible cannibalisation des commerces environnants.

Le succès du centre commercial de la Gare Saint-Lazare ouvert en mars 2012 et récompensé par l’ICSC Award (distinction accordée aux projets dans le domaine de la création, la rénovation, ou l’extension de l’immobilier commercial) est un exemple de transformation réussie, puisqu’il génère le plus important chiffre d’affaires moyen par m² en France avec 14 000 €/m²/an.

Cependant, l’espace le plus valorisable de la gare car accueillant le flux le plus dense de voyageurs et donc le plus recherché par les commerçants, situé la plupart du temps au plus proche des voies, est souvent déjà occupé par des activités d’exploitation, ou des activités externes parfois peu ou non rémunératrices. Ces cœurs de gare sont donc amenés à évoluer en intégrant davantage de commerces fortement rémunérateurs afin d’apporter aux exploitants les revenus suffisants pour réaliser les travaux nécessaires à leur transformation en pôle multimodal.

Il est également possible de profiter de l’amélioration de l’ensemble du quartier pour capter de la valeur.
La captation de valeur consiste à profiter de l’augmentation de la valeur des terrains autour de la future gare rénovée. Gestionnaire de gare ou d’infrastructure, mairie ou investisseurs privés peuvent donc être concernés.

Plusieurs dispositifs existent.
L’augmentation de l’assiette fiscale due à l’arrivée de nouvelles activités autour de la gare permet par exemple aux collectivités locales d’obtenir un retour sur leur investissement.
Un autre moyen consiste à impliquer des capitaux privés dans la construction de la gare en échange d’un bail d’exploitation des espaces situés dans ou autour de celle-ci. L’avantage le plus conséquent est le fait qu’une telle stratégie entraîne une augmentation du nombre d’acteurs impliqués dans le financement, et donc une mitigation du risque en même temps que l’abaissement des parts respectives de financement. En revanche, elle implique une complexité accrue dans le processus de pilotage et de prise de décisions du fait de la multiplication des interlocuteurs. Les retours d’expérience sur une telle stratégie sont cependant encourageants. Ainsi, la rénovation de la gare de Liège a permis à la SNCB-Holding de construire 65 000 m² de bureaux supplémentaires dans la continuité de l’édifice, afin d’augmenter la valeur du quartier et d’en tirer des bénéfices à long terme.

Conclusion
L’écosystème de la gare se complexifie : de simple lieu de transit, elle devient lieu multifonctions et multi-acteurs. Une maitrise des transformations en cours permettra de faire de la gare un véritable lieu de vie dans la ville et d’être plus efficace dans la gestion économique de ces espaces.
Ces transformations lourdes sont structurantes pour les gestionnaires de ces gares, et la mobilisation de l’ensemble des acteurs dans la construction d’un plan cohérent et homogène de développement est indispensable pour réussir l’intégration urbaine de ces nouveaux pôles multimodaux et anticiper l’avenir.
SIA Partners est un cabinet indépendant de conseil en management et stratégie opérationnelle organisé autour des unités de compétences Energie, Finance, Télécoms & Médias, Transport – Industrie – Retail, Secteur Public, Ressources Humaines, Fonction Finance, Actuariat. La société fait partie des cabinets de conseil en management majeurs en France. Elle est présente en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie, au Maroc, à Dubaï et à New-York.