Steffen Weinstok, Lufthansa: «L’adaptation est l’une des qualités de la compagnie»

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Dans la bataille européenne des compagnies régulières face aux low cost, Lufthansa a du repenser sa stratégie de développement et s’adapter aux nouvelles attentes du transport aérien. Les voyageurs l’obligent en permanence à reconstruire son offre, que ce soit au niveau du tarif ou des services. Un travail de fond commencé il y a deux ans malgré quelques couacs du côté des pilotes.

Directeur général France et Bénélux de Lufthansa, Steffen Weinstok ne cache pas que «Le marché est aujourd’hui complexe sur le long comme sur le court courrier». Une conséquence directe du best buy omniprésent chez les acheteurs. «Mais ne nous trompons pas d’objectifs», explique Steffen Weinstok, «Il y a une clientèle, surtout dans le voyage d’affaires, qui connaît la valeur d’une business class de qualité, d’un salon confortable pour travailler ou de l’optimisation d’un temps de correspondance». Et pour Lufthansa, c’est le sens du détail qui fait et fera la différence. Face à l’insolente réussite de British Airways, la compagnie allemande a décidé de répliquer en optimisant ses liaisons et en proposant une compagnie low cost sur les destinations loisirs. Et pour le business travel, c’est une classe affaires repensée qui est désormais installée sur ses appareils. La stratégie est en place, pourtant le nouveau boss de la compagnie, Carsten Spohr, ne se voile pas la face: «Nous sommes à une période de changements majeurs pour le transport aérien et il faut que Lufthansa puisse s’adapter à toutes les transformations». Et les choix retenus par le nouveau patron font grincer des dents en interne : réduction des effectifs, baisse des coûts d’exploitation et report sur Germanwings des activités court et moyen-courrier. «Score», le programme d’économies lancé en 2012, devrait porter ses fruits cette année. Il ne s'est pas fait sans mal et il reste des obstacles pour la stratégie de la direction. Ainsi le programme de pré-retraite des pilotes qui, tel que, va pénaliser les résultats et mettre en danger l’équilibre économique de la compagnie. «Le dialogue est bien engagé», affirme Steffen Weinstok, «Mais il faut faire plus que comprendre la position de chacun. Il faudra trouver une solution dans l’intérêt général de tous les salariés». Méthode bien allemande qui a fait ses preuves : s’appuyer sur le sens civique de chacun. On a pu le remarquer lors de la dernière grève des cheminots, suspendue pour permettre le bon déroulement des cérémonies autour de la chute du mur de Berlin. Et côté voyage d’affaires, où va-t-on ? C’est la question posée au Directeur général France et Benelux.

DéplacementsPros.com: Comment se porte Lufthansa aujourd'hui?

Steffen Weinstok : Globalement bien, si l’on regarde les résultats d’octobre. Nous avons transporté, toutes compagnies du groupe confondues (c'est-à-dire Germanwings, Swiss et Austrian Airlines), près de 10 millions de passagers. La capacité a été en hausse de 3,1 % pour une réduction de près de 4% du nombre d’appareils utilisés. Pour mémoire, nous avons traversé plusieurs grèves sur la même période et nous constatons à nouveau que l’évolution des prix reste négative. Sur un an, de date à date, nous avons légèrement dépassé les 90 millions de passagers transportés.
En France, où nous avons près de 320 vols entre la France et l’Allemagne, Lufthansa pèse environ 2,85 millions de passagers. La part du corporate travel reste stable, autour de 40% contre 60 % au loisir. Mais le constat est plus contrasté car le voyage d’affaires évolue peu au départ de la France. Il y a une certaine stagnation des volumes même si je ressens un léger frémissement haussier en cette fin d’année. Si je devais le résumer, je dirais que Lufthansa représente 3,5 % de parts de marché en France et aux alentours de 7 % avec l’ensemble des compagnies du groupe. C’est globalement un bon résultat.

DéplacementsPros.com: Vous dites que le marché Corporate est compliqué, comment l’expliquez-vous?

Steffen Weinstok : Un contrat négocié est accessible à partir de 150 000 € sur les compagnies du groupe. C’est particulièrement attractif compte tenu de la diversité de notre offre. À l’évidence, le choix qui est fait aujourd’hui par les acheteurs est tout d’abord un choix tarifaire. Nous sommes encore dans la politique de best buy engagée il y a quelques années. Sur les 320 vols que j’évoquais, 79 sont assurés par Germanwings ce qui nous permet d’avoir une offre long-courrier et low cost bien équilibrée. Mais il faut mettre la demande en face de l’offre. L’économie française est plus tendue et les déplacements sans doute réduits. Nous avons environ 160 entreprises sous contrat et un millier de PME-PMI qui utilisent notre programme de fidélisation Partner Plus Benefit qui permet à l’entreprise de cumuler des miles pour elle et son voyageur. 10 compagnies sont aujourd’hui membres de ce programme très apprécié des PME/PMI. Ce tableau s’appuie sur une année 2014 qui a été meilleure que les précédentes mais qui n’a pourtant pas retrouvé son niveau de 2008.
Si l’on regarde l’offre aérienne au départ de la France, toutes compagnies confondues, on se rend vite compte qu’elle est ultra concurrentielle avec une amplitude élevée de prix pour une même destination, parfois du simple au double sur le long courrier. Pour répondre à nos clients, et leur montrer la compétitivité de Lufthansa, nos équipes commerciales assurent le suivi des ventes pour Germanwings et Austrian - Bruxelles gardant sa propre force des ventes - ce qui nous permet d’avoir une palette importante de produits à proposer aux entreprises. C’est notre point fort. Un plus appréciable et apprécié.

DéplacementsPros.com: La vente directe tente fortement les PME-PMI. Où en êtes-vous chez Lufthansa?

Steffen Weinstok : Aujourd’hui, 25 % des ventes en France se font sur le site Internet de Lufthansa, toutes clientèles confondues. C’est globalement un bon chiffre. Le fait d’être présent sur les SBT pour une gestion automatique des ventes de point à point confirme l’intérêt des entreprises pour la mise en place d’outils qui permettent un parfait respect de la politique voyage et une instantanéité d’acquisition des billets. À l’époque de la dématérialisation totale, de l’enregistrement en ligne ou de la modification de son voyage via son smartphone, il était impensable que nous cherchions à privilégier tel ou tel marché en oubliant les atouts technologiques que nous avons développés. La vente directe nous permet à la fois de répondre immédiatement aux attentes des entreprises et des voyageurs sans pour autant pénaliser le travail des agences.

DéplacementsPros.com: Pensez-vous que votre projet low cost peut intéresser les voyageurs d’affaires?

Steffen Weinstok : Il me paraît aujourd’hui difficile de tirer des plans sur la comète alors que la compagnie se met à peine en place et que l’on ne connaîtra que dans quelques jours la stratégie qui sera mise en œuvre. A priori, cette low cost long courrier ne devrait voler que vers des destinations loisirs dans les Caraïbes, une partie de l’océan Indien et sans doute vers deux villes très touristiques aux USA. Cette compagnie, qui s’appuie sur une structure créée en partenariat avec Turkish Airlines, disposera dans un premier temps de trois avions, des Airbus A330 et des Boeing 767 au départ de Cologne et de Düsseldorf. Francfort ne devrait pas être concernée par cette activité low cost. Bien évidemment, on peut imaginer qu’un voyageur puisse l’utiliser dans le cadre d’un déplacement professionnel car il devrait y avoir par avion 18 business, 19 Premium et 260 sièges en classe éco. Mais je pense sincèrement que ce seront plus les touristes que les hommes d’affaires qui l’utiliseront. A priori, d’après ce que nous entendons un interne, le premier vol de cette compagnie économique ne se fera pas avant une année.

DéplacementsPros.com: Lufthansa va proposer une classe Premium à partir du 1er décembre. Pourquoi arriver aussi tardivement sur ce marché?

Steffen Weinstok : Je ne pense pas que ce soit une course à l’équipement qui doit piloter la stratégie d’une compagnie aérienne. La crise économique que l’Europe vient de traverser a donné naissance à de nouveaux besoins, principalement liés au coût global du voyage. Pour répondre à nos clients, ceux qui étaient passés de la business à la classe éco, il était normal de leur proposer une classe intermédiaire construite autour d’une qualité de voyage. C’est ce qui nous a conduit à développer la Premium.
Vous remarquerez d’ailleurs que la course à l’équipement des cabines est sans fin. Avant, un lit plat se trouvait exclusivement en first, aujourd’hui il est indispensable dans une business class. La Premium, d’une certaine façon, vient combler le vide entre l’éco et la classe avant. Notre Premium propose plus de place pour les jambes, un service repas plus savoureux, un accès payant aux lounges de la compagnie sans oublier des petits détails comme une bouteille d’eau pour chaque passager ou une trousse de toilette individuelle. Elle offre également plus d’avantages dans le programme de fidélité Miles & More. Nous allons proposer 3600 sièges Premium dans 106 avions. À l’été 2015, c’est l’ensemble des appareils de la compagnie qui sera équipé. Pour le lancement, nous avons fait le choix de destinations principalement corporate comme Chicago, Bangalore, Washington Hong Kong, São Paulo, Séoul, Pékin. Ce sont des villes desservies aujourd’hui par le 747 -800. Fin janvier, ce sont les 340-600 qui seront équipés et qui voleront vers Shanghai, Tokyo ou Mumbai. Enfin en avril, cette classe Premium sera également installée sur les A 380.

DéplacementsPros.com: Etes-vous optimiste pour 2015 ?

Steffen Weinstok : On sent déjà une légère reprise s’amorcer sur le corporate travel pour le début de l’année 2015. Mais il faut faire attention et ne pas crier victoire trop vite car les marchés sont loin d’être stabilisés et les objectifs ne sont pas forcément aux rendez-vous commerciaux des compagnies aériennes. Je constate néanmoins que les évolutions engagées par Lufthansa commencent à porter leurs fruits que ce soit dans les escales de province ou au départ de Paris. Nous avons externalisé l’escale parisienne. Il y avait 155 salariés, il en reste neuf aujourd’hui pour un effectif global d’environ 90 personnes. Des nouveaux services à bord, comme le wi-fi, sont très appréciés de la clientèle affaires. Nos salons sont eux aussi très demandés par nos voyageurs d’affaires qui apprécient les équipements, le confort et les espaces de travail. Nous sommes en phase avec le plan stratégique mise en place il y a deux ans et dont la finalité est de nous rendre encore plus compétitifs face à nos concurrents du Golfe ou même aux compagnies européennes avec qui la compétition est également serrée. Tout cela doit nous permettre de nous développer en France et d’apporter aux entreprises des réponses précises à leurs attentes en matière de transport aérien. Tout cela me permet également de constater que la situation globale s’améliore, lentement c’est vrai, mais elle s’améliore.

Entretien réalisé à Francfort par Marcel Lévy