Transport aérien, les USA volent vers la distribution directe

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Depuis deux ans, le sujet est d'actualité sur la table des acheteurs américains : faut-il favoriser la distribution directe entre les entreprises et les transporteurs aériens ? Pour beaucoup, la réponse à cette question est un oui franc et massif. Limiter les intermédiaires pour disposer directement des meilleurs tarifs est un objectif qui risque pourtant d'en décevoir beaucoup.

Au tout début de la technologie informatique, les compagnies aériennes ont créé les GDS. L'idée était séduisante : regrouper en un seul lieu toutes les informations nécessaires à l'établissement d'un billet d'avion. Au fil du temps, la data, qui n'était plus le privilège de ces seuls GDS, s'est développée au sein de structures globales dont la finalité était de vendre un contenu à celles et ceux qui voulaient l'utiliser pour développer leurs propres applications. Cette vision, dont on perçoit aujourd'hui la montée en puissance, n'a pas pour autant donner un coup d'arrêt aux GDS qui, eux aussi, se sont largement intéressés à l'utilisation de la data plus qu'à sa captation.

Désormais, en entrant dans ce que les Américains appellent les "technologies d'acquisition d'un voyage", à savoir tous les outils qui permettent d'acheter un déplacement professionnel, on se rend compte que l'accès direct aux stocks des compagnies aériennes est de plus en plus facile... à la condition première qu'elles acceptent de le fournir. Aujourd'hui encore, les mentalités conduisent bon nombre d'entre elles à préserver leurs informations ou du moins à la réserver à leurs meilleurs clients. Ce serait déjà le cas chez American Airlines pour quelques très grandes entreprises US. Mais ce qui est valable aujourd'hui ne le sera plus très rapidement. Et si, au final, cette ouverture des stocks de toutes les compagnies se faisait, l'acheteur disposera d'une certaine façon d'un GDS directement accessible et sans aucun coût de distribution.

Si l'on associe à cette analyse un peu rapide l'ensemble des technologies "touchless" qui permettent l'émission et le contrôle d'un billet d'avion sans aucune intervention humaine, l'acheteur sera à la tête d'un outil de travail capable d'établir des comparaisons tarifaires mais également d'assurer l'acquisition du voyage de bout en bout. C'est en tout cas l'idée qui prime ici et que bon nombre de start-ups commence à développer de façon intelligente.

À l'évidence, il va falloir s'habituer à ce que le vocabulaire et les process changent. Car au final, le résultat est le même, que l'on passe par un GDS ou directement via la compagnie aérienne retenue. Le même ? Pas tout à fait. On peut imaginer que l'intégration d'algorithmes puissants permette de recalculer automatiquement, et en temps réel, le meilleur prix pour un client en fonction de sa consommation passée sur la destination choisie. C'est ce que l'on appelle aujourd'hui "l'évolution tarifaire raisonnée", étape plus aboutie du contrat Corporate. Une sorte de yield grandeur nature. On pourrait me rétorquer que tout cela ressemble à de la science-fiction. Ce serait vrai si ces outils n'existaient pas dans un autre univers que le voyage : la Bourse où ce sont aujourd'hui des machines qui positionnent les acheteurs sur les meilleures offres. Et le résultat est époustouflant. Le taux d'erreurs constaté est inférieur à 0,02 % !

On sait aussi que le maître-mot de ce nouvel ordre sera l'argent. Seuls les moyens de paiement évolués, la dématérialisation maîtrisée, permettront une gestion affinée de la distribution directe et de la capacité de l'ensemble des acteurs à optimiser les règlements des achats qui seront faits. On a vu le besoin des compagnies aériennes de faire bouger en France les dates de règlement du BSP par les agences, BSP qui est passé de mensuel à bimensuel. Si l'on traduit ce changement, on aura compris que les agences ne pourront plus permettre à leurs clients de régler à 30 jours et que l'achat d'un billet d'avion devra répondre à des règles de paiement plus strictes. Aux USA, une facture de déplacement professionnel se règle en moyenne à 15 jours, ce qui est loin d'être le cas en Europe.

Globalement, c'est tout l'univers de la distribution qui s'en trouve bousculé. Pour la TMC, sa capacité à auditer un univers qu'elle ne pourra pas gérer est réduite à néant. Le pouvoir transite désormais directement entre l'entreprise et la compagnie aérienne par le biais de la concurrence. Certes, les agences de voyages, quelle que soit leur taille, auront à s'adapter à une demande que le client pourrait à terme gérer lui-même. Car contrairement à ce que l'on croit, cette vision prônée par des compagnies aériennes pour une distribution directe s'adresse à tous les publics, un peu comme le font aujourd'hui les sites de vente en ligne de Ryanair ou d'EasyJet.

Cela veut-il dire que le GDS est mort ? Ce serait hâtif de considérer que les spécialistes de la data seraient les premiers à disparaître. Ils ont déjà commencé une lente mais évidente transformation qui répond aux attentes des clients sans remettre en cause leurs habitudes de travail. Amadeus, qui anticipe souvent les tendances à venir, a créé une nouvelle division corporate pour être l'un des acteurs forts de cette nouvelle relation entre les compagnies aériennes et l'entreprise. On pourrait se demander si ce n'est pas trop tard. Fausse interrogation car au-delà du billet d'avion, le voyage d'affaires est plus complexe et demande un autre savoir que la simple collecte de données numériques. La fameuse "politique voyages" se plie encore à des règles que l'automatisation globale devra prendre en compte.

Bien évidemment, l'ensemble de ce système tourne autour de l'information. Celle que possèdent les compagnies aériennes, celle dont a besoin l'acheteur et celle que consommera l'utilisateur à l'occasion de son déplacement professionnel. Les premières briques sont déjà posées avec les chabot, les prochaines se feront via la mise en place par IATA du NDC. Puis viendra l'automatisation totale et complète de l'émission du billet ainsi que l'accès direct aux stocks, quelle que soit l'interface graphique que l'on utilisera.

Waouh, serait-on tenté de dire face à la complexité d'un système dont on perçoit les contours sans forcément en comprendre le cœur. Pourtant aujourd'hui tout est en place pour que de tels process soient opérationnels d'ici deux à trois ans maximum. Et contrairement à ce que l'on pense, ce ne sont pas forcément les GDS qui seront les plus bousculés mais sans doute les éditeurs de SBT qui auront à repenser totalement l'accès à l'information dans le cadre d'une politique voyages établie.

Pour le voyageur, tout cela ne devrait pas modifier grand-chose. Son besoin d'outils mobiles reste fort et il ne voudra toujours pas consulter des dizaines de sites pour obtenir des réponses immédiates à des problématiques rencontrées sur le terrain. Aujourd'hui les compagnies aériennes ne savent pas le faire de façon fluide et efficace. C'est donc le travail qu'elles auront à mener ces prochains mois tout en veillant à ne pas détruire une distribution qu'elles ont contribué à mettre en œuvre depuis des décennies. Mais elles ont la chance d'avoir des exemples très concrets : Lufthansa a retrouvé et a même développé son volume d'affaires malgré les annonces faites autour de la facturation des frais lors de l'utilisation d'un GDS. Autant le dire, il suffit de croiser des patrons de compagnies aériennes américaines pour comprendre qu'eux aussi ne devraient pas tarder à s'engouffrer dans la brèche créée par le transporteur européen.

Bien sûr, il est encore trop tôt pour dire de quelle façon tout cela va se mettre en place. D'un côté, il faudra compter avec IATA dont la seule ambition est de protéger au mieux les compagnies aériennes. De l'autre, toujours au nom de la complexité d'un déplacement professionnel, il faudra trouver les outils capables de faire en direct ce qui se fait aujourd'hui via des intermédiaires. Enfin, ne négligeons pas le poids des TMC qui, en se globalisant et se mondialisant de plus en plus, pèseront sur les choix que font les fournisseurs.

Voilà donc posée la réflexion. Du moins celle qui agit aujourd'hui les associations d'acheteurs aux États-Unis et les Travel manager réunis au sein d'Acte ou de la GBTA. Tous le savent, nous n'en sommes qu'aux prémices de cette révolution annoncée dont l'ensemble de l'articulation est désormais connu et qui, pour l'heure, se limite un simple squelette technologique. Il faudra y ajouter de la chair, de l'intérêt, de l'utilité, des idées et surtout des avantages pour que chacun s'en empare en considérant que le nouveau système est bien meilleur que l'ancien.

A New York,
Philippe Lantris