Transport aérien : pour réussir, faut-il virer les syndicats ?

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Il serait stupide d'écrire que la réussite d'une compagnie aérienne passe par l'absence totale d'une vision sociale. Idiot de penser que seule l'exploitation au maximum du personnel utilisé suffit à transformer une idée basique en argent sonnant et trébuchant. Tout aussi ridicule d'affirmer par écrit que les syndicats sont les pires ennemis d'un transporteur et que toute tentative pour essayer de les supprimer serait vouée à l'échec. Stupide, idiot, ridicule… et pourtant, Ryanair le fait tous les jours!

Avec 1 milliard d'euros de bénéfices annoncés pour le premier semestre 2015, la compagnie irlandaise pulvérise toutes les prévisions. En entrant dans le cercle des grands du transport aérien, Michael O'Leary fait un pied de nez à ces compagnies régulières qui viennent régulièrement lui donner des leçons. Mais pour atteindre ce résultat, tous les moyens sont bons. Pire, le patron de Ryannair ajoute que "Seuls les imbéciles sont capables de ne pas faire d'argent alors que les prix du pétrole baissent".
 
Que n'a-t-on dit des subventions reçues par Ryanair de la part des régions ? Qui se souvient de la bataille des aéroports secondaires prêts à offrir des prix compétitifs pour faire venir Ryanair ? Qui se souvient de ces hôtesses et pilotes qui dénonçaient leurs conditions de travail ? Beaucoup ne sont plus là, virés pour avoir osé s'exprimer en public. La liste est longue de ces coups de canifs aux bons usages. Mais le résultat est là : peu payés, soumis à des contrats privés qui n'en sont pas vraiment, autoentrepreneurs ou presque. Bref, la réussite de Ryanair s'explique aussi par sa gestion quotidienne de son personnel.
 
Techniquement, Ryanair n'a rien inventé : une flotte unique pour simplifier la maintenance, des rotations nombreuses des appareils et des tarifs attractifs (du moins en prix d'appel). Ajoutez à cela une zone de couverture qui ne dépasse pas les trois heures de vol et vous aurez la recette du succès de base de la low-cost, copiable à l'infini. Ce que des Vueling, Easyjet et consort réalisent, avec brio, tous les jours !
 
Certes on sourit toujours des sorties médiatiques d'O'Leary. Un provocateur un peu fou ? Détrompez- vous, il y a du calcul dans ses propos. Son attitude va bien au-delà de l'image qu'il se donne. Cette posture d'ultra libéral prêt à tout cache un jeu bien rodé, offrant buz et publicité gratuite. Désormais, on est prêt à quasiment tout accepter de cet homme qui a bâti son empire sur la faiblesse de ses compétiteurs et surtout sur leur vision "politiquement correcte".
 
Voilà bien tout le paradoxe de l'approche économique que chacun d'entre nous peut avoir. Nous voulons tous bénéficier des prix les plus bas, d'une réelle protection sociale qui respecte les règles du travail, souvent draconiennes pour ne pas dire excessives, mais à condition qu'elles ne nous concernent pas au quotidien. Le danger, c'est l'autre. Refrain bien connu à une époque ou l'Europe sociale n'existe pas. On attendait de Bruxelles un regard protecteur. Hormis les contraintes, elle n'aura réussi qu'à conduire à la déception. Dommage car le projet est porteur, noble et ambitieux. Encore faut-il vouloir réellement le porter.
 
Nous, les Français (comme beaucoup d'européens) sommes les premiers à reconnaître que le travailleur doit être protégé mais nous acceptons l'idée que l'on puisse travailler le dimanche, voler dans une low cost, acheter à bas prix tout ce qui fait notre quotidien… Sans forcément regarder la façon dont tout cela est fait. La grande distribution achète en Chine ou au Bengladesh des pantalons et des robes vendus moins de 7 euros chez nous, mais toujours cousus par des enfants ou des femmes enceintes qui sont encore sur leur machine la veille de leur accouchement.
 
Malraux disait que "les bien-pensants peuvent aussi mourir de leurs bonnes pensées". Aujourd'hui, on le voit tous les jours, tout est dans son contraire. Nous sommes tous Mister Hyde et Dr Jekyll.  Avancer dans cette réflexion prendrait une tournure politique (au sens premier du mot). Je ne le souhaite pas, ce n'est ni mon rôle, ni le lieu. Seule certitude, si nous voulons sauver Air France et d'autres, il va falloir repenser nos relations sociales et professionnelles, que ce soit en France comme avec nos partenaires européens. Croire que nous sommes encore riches pour construire le futur serait faire abstraction de nos 2000 milliards de dettes.
En avons-nous les moyens ?

Pierre Barre