Troubles dans le transport aérien

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Au moment où le salon du Bourget s’approche et l’assemblée générale de IATA vient de se terminer à Cancun tous les indicateurs semblent être au vert. Le début d’année a été très bon pour les résultats économiques du transport aérien et l’année 2016 s’est terminée par un résultat très honorable de 37 milliards de dollars de profit pour un chiffre d’affaires qui frôle les 800 milliards de dollars. Bon, on est loin de l’objectif de 8% de résultat net, mais enfin, depuis plusieurs années cette activité a cessé de perdre de l’argent.

Et pourtant, tout cela est bien fragile. D’abord, notons que les profits engrangés les dernières années sont dus pour l’essentiel à la baisse considérable du pétrole ce qui a fait diminuer de 30% à moins de 20% la part du carburant dans l’ensemble des coûts du transport aérien. Or cette manne ne s’est répercutée que très partiellement sur les résultats. En effet les compagnies en ont profité pour poursuivre leur politique infernale de baisse des prix de vente, seul moyen qu’elles ont trouvé pour faire face à leurs concurrents. Au lieu de rechercher des nouveaux moyens de différenciation de leur produit, les transporteurs se contentent de vendre moins cher que leur voisin. Je ne suis pas certain que le secteur ait à y gagner. Si d’aventure, ce que l’on ne peut souhaiter, le prix du carburant s’envolait de nouveau, les conséquences économiques seraient alors désastreuses.

Or, la baisse du prix du pétrole n’a pas que des avantages. Elle déstabilise la région du Golfe et elle rend nerveux les acteurs de la région. Les fondamentaux économiques sont bouleversés. D’ores et déjà, Etihad Airways a été obligée de revoir complètement sa stratégie et il n’est pas certain que d’autres transporteurs ne soient pas amenés à donner un sérieux coup de frein à leur expansion. Le deuxième touché maintenant est Qatar Airways, pour des raisons géopolitiques mais dans cette région, le pétrole et la géopolitique ne font qu’un. Dans ce contexte, deux grands acheteurs d’avions auprès des grands constructeurs européens devraient être amenés à annuler au moins en partie, les faramineuses commandes qu’ils ont passés.

Il faut reconnaître qu’ils ne sont pas servis par le contexte politique américain. La nouvelle administration affiche clairement un repli sur l’Amérique avec pour conséquences le gel très probable des droits de trafic entre les Etats du Golfe et les USA et une offensive puissante pour éradiquer la menace terroriste dont elle pense voir l’origine dans le Golfe. Il est donc vraisemblable que la pression sur le Qatar, mais peut-être aussi sur d’autres Emirats, va s’accentuer.

Partant de ce constat, il est très envisageable que toutes les commandes passées par les compagnies du Golfe ne soient pas honorées. Mais on n’arrête pas comme cela une chaine de fabrication d’avions. Il est dès lors vraisemblable de voir une baisse sérieuse dans les prix de vente, hors catalogue, bien entendu. Et ce mouvement arrive au moment où les Russes et les Chinois se préparent à mettre sur le marché de sérieux concurrents aux deux programmes les plus performants de Boeing et d’Airbus, les B 737 et les A 320. Nul doute que les prix de vente de ces nouveaux appareils soient très notablement inférieurs à leurs homologues occidentaux.

Et IATA dans tout cela ? L’Association vient de tenir son assemblée générale à Cancun avec, semble-t-il, un agenda un peu décalé par rapport aux événements actuels. A la décharge des organisateurs, personne ne pouvait prévoir l’offensive diplomatique contre le Qatar ce qui a obligé l’Emir Al Baker à quitter précipitamment la réunion pour rejoindre son pays. Or sans sa présence souvent tonitruante, les débats manquent rapidement de sel. Je note quand même la bonne prestation d’Alexandre de Juniac, tout au moins à ce que me rapporte un observateur très averti et peu suspect de complaisance envers le DG de l’organisation.

Rappelons que cette dernière regroupe 275 compagnies aériennes, 100.000 agences de voyages accréditées et 400 partenaires dits stratégiques. Pour autant les grands oubliés sont, comme toujours, les distributeurs plus ou moins accusés de tous les maux alors qu’ils sont les vrais promoteurs du transport aérien.

Au fond, on aimerait bien avoir pour une fois la publication des chiffres de IATA et en particulier la composition du résultat par secteur d’activité, à laquelle sont d’ailleurs soumis tous les acteurs économiques. On aimerait également que les agents de voyages soient représentés au sein du « Board » de l’Association, là où se prennent toutes les grandes décisions. Mais hélas, il n’en est pas question pour le moment. Et c’est bien dommage.

Jean-Louis BAROUX