Voyage d’affaires : quel avenir pour les agences de proximité ?

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Réuni en congrès à Québec du 5 au 8 décembre, le réseau Selectour a tracé les grandes lignes de son avenir commercial. Pour le nouveau Président, Laurent Abitbol à la tête de la coopérative depuis 120 jours, la principale qualité d’une offre « affaires » structurée résidera dans la discipline des agences. Tout un programme pour des agences attachées à leur indépendance et leur liberté.

Pas de doute, si le nouveau Président est attachant, il reconnait lui-même qu’il en demande souvent un peu trop pour obtenir ce qu’il veut. "Je suis un provocateur qui veut faire réagir les agences", avoue-t--il en développant son plan pour les prochaines années. "Je veux obtenir en 3 ans un EBITDA (bénéfice d'une société avant que n'y soient soustraits les intérêts, les impôts et taxes…) de 90 millions d’euros", explique-t-il. Réaliste ? Non, lui-même le reconnaît: "Si l’on atteint les 45 voire 50 millions, nous serions déjà heureux". Toute la méthode du nouveau président est résumée en une phrase: "Pour aller plus loin il faut surprendre".

Mais Selectour, premier réseau d'agences de voyages français, est loin d’être en position de force dans la bataille du voyage d’affaires de proximité. Premier obstacle, la technologie. Le réseau est en retard et le choix de KDS, aujourd’hui aux mains d’Amex GBT, ne plait pas aux adhérents qui s’interrogent sur la possible porosité entre les deux structures. "Nous n’avons pas d’autres choix aujourd’hui", commente Laurent Abitbol , "Nous avons besoin d’un SBT puissant que nos clients pourront utiliser sans problème". Et à terme ? Laurent Abitbol ne botte pas en touche mais ne veut pas se prononcer sur Maya d’iAlbatros qui constitue le cœur du noyau d’Havas Connect, l’outil mis en place au sein de l’entreprise dont il est le patron.

L’autre interrogation concerne les outils d’acquisition du voyage d’affaires. Selectour n’a jamais souhaité développer le touchless comme le font aujourd’hui ses compétiteurs. Le sujet est complexe car il n’y a pas réellement de frontières claires entre le SBT et les outils "end to end" que demandent les entreprises. Si le retard a peu d’importance dans l’univers des PME/PMI, il n’en sera pas de même pour les grands comptes, de plus en plus attachés à des solutions complètes. Sur ce point, Laurent Abitbol ne se prononce pas et avoue franchement que le sujet est pour lui assez flou. Reconnaissons qu’il est difficile d’imaginer une telle solution distribuable via les agences de voyage de proximité.

Quid de la concurrence entre Havas Voyages, propriété du groupe Marietton que dirige aussi Laurent Abitbol, et le réseau Selectour qu’il préside ? C’est ce point-là qui constitue la seconde difficulté aux yeux des agences présents sur place. Comment être certain que le parfait équilibre sera de mise si deux appels d’offres sont traités par les deux entités ? Là aussi la réponse fuse: "Je ne me mêlerais pas de ce qui fait le quotidien de ces entreprises. Ce n’est ni mon rôle, ni ma mission". D’autant que le Président veut mettre l’accent sur deux points essentiels selon lui et qui dépassent la seule technologie ou la concurrence. "Je veux mettre l’humain et le service au centre de notre offre Selectour. Nous avons les moyens via notre service 24/24 ou notre salle des marchés d’apporter de vraies réponses à nos clients". Et de fustiger la baisse des « fees » qui ne couvre pas les dépenses réelles et ne réponde pas aux attentes des entreprises. "Je le dis clairement, nous n’irons pas sur des appels d’offres qui au final ne rapportent rien. S’il n’y a pas d’argent à gagner nous ne serons pas sur le dossier".

Pour appuyer son développement, il n’hésite pas à répéter que les entreprises françaises doivent être préférées aux structures étrangères: "Comment expliquer qu’un Ministère ou qu’un service public travaille avec une société américaine alors qu’il dispose des mêmes services via une structure française". Pour lui, c’est un thème de campagne commerciale: "Nous allons communiquer largement sur ce point pour faire prendre conscience que nos emplois et les impôts que nous payons doivent aussi être pris en compte dans le choix d’un fournisseur".

Si les propos sont forts, la méthode, elle, a de quoi froisser les agences. "Nous avons besoin d’une discipline de réseau pour avancer", explique le Président, "C’est vrai que j’ai été un peu fort en parlant de rigueur dans les achats, de contrôle de la comptabilité ou de pilotage des ventes mais je crois qu’il est essentiel de dire clairement que pour gagner de l’argent, il faut suivre des règles et faire des choix". Dans un réseau volontaire, le discours a parfois du mal à passer auprès d'agences qui tiennent à leur autonomie et leur indépendance.

Avec aujourd’hui 60% du CA, le voyage d’affaires est essentiel à la vie de Selectour. Mais si son importance est reconnue, le Congrès n’aura pas pris le temps de développer sa vision de l’avenir du secteur. Pour Laurent Abitbol, il fallait d’abord gérer les problématiques d’organisation avant de s’attaquer au développement. Pas certain que toutes les agences présentes, ou que les fournisseurs du business travel qui ont fait le voyage vers Québec, aient compris la finesse du choix.

Marcel Lévy à Québec