Voyages d’affaires : faut-il croire en Air France ?

84

Alors que la plupart des commentateurs spécialisés dans l'aérien s'interrogent sur l'avenir d'Air France, force est de remarquer que la compagnie française commence à sortir la tête de l'eau. Bien modestement, il est vrai. Mais le pari, le vrai, ne sera terminé qu'en 2015 même si l'on sait aujourd'hui que la compagnie veut regarder plus loin et qu'elle pourrait lancer l'année prochaine un nouveau plan, un regard vers 2020. Quels sont les points forts et faibles d'Air France face à la concurrence ?

Voyages d'affaires : faut-il croire en Air France ?
En réduisant considérablement ses pertes au premier semestre 2013 - elles ont été divisées par 5 ! - Air France KLM est sur la bonne voie. Même les effectifs globaux sont en baisse : de 106.300 à 100.700, intérimaires compris. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps, et le nouveau PDG d'Air France, Férédric Gagey, sait qu'il devra se battre pour tenir les objectifs de Transform 2015 et remettre à flot la compagnie. Un deuxième volet du plan est en marche et Air France a des atouts. La montée en gamme engagée plait aux clients. Hop! commence à bien s'implanter en région et Transavia est une vraie réussite dans le monde bousculée du low cost. Il reste que le bout du tunnel est encore loin. Il faudra gérer le fret qui s'effondre et sans doute limiter l'offre dans ce domaine. Et le calendrier des réformes reste complexe à établir. Comme le résume fort bien un syndicaliste : l'avenir d'Air France se joue vraiment cette fin d’année, avec un calendrier serré pour poursuivre les réformes annoncées en partie ce 18 septembre avec un deuxième CCE le 4 octobre prochain.

Les plus qui donnent de l'espoir

Voyages d'affaires : faut-il croire en Air France ?
• La réduction de la masse salariale
Certes, les grognements et les craintes de syndicats sont bien réels tout comme les angoisses du personnel. Le 31 juillet, la direction avait confirmé qu’environ 2500 postes devraient être supprimés en 2014 grâce à des départs volontaires, après les 5100 postes déjà supprimés entre 2012 et fin 2013 dans le cadre du plan de restructuration. Ce sont finalement 2800 postes qui devraient être supprimés dans le nouveau Plan de départs volontaires. Et quoi qu'on en pense, Frédéric Gagey, le PDG d'Air France a raison : toutes les restructurations des compagnies aériennes sont passées, et passent encore, par des réductions d'effectifs. Lufthansa, British ou Iberia ont taillé dans le personnel administratif et les escales. Il y a peu de raison pour qu'Air France innove ! Mais un Plan de Départ Volontaire a ses limites, expliquent les syndicalistes qui pensent que l'on obtiendra difficilement 1500 postes sur les 2800 annoncés ce 18 septembre. Pour David Ricatte, délégué CGT Air France "Le personnel est inquiet car ce nouveau plan social vise d'abord les escales en province. Je ne suis absolument pas certain qu'on fera le plein des départs volontaires. Ce qui est sûr, c'est que la peur s'est installée et que la question qui se pose, c'est de savoir ce que fera la Direction si le PDV n'est pas atteint. Est ce que l'on va parler alors de licenciements secs ?".

• La poursuite de la politique de modération salariale
C'est sans doute l'un des points forts de 2015 : avoir réussi à faire accepter par tous un gel des salaires associé à une embauche très limitée. Air France sait que c'est aussi cette partie du plan qui fera la différence. Mais les salariés veillent et annoncent déjà qu'ils voudront les fruits de la relance. Entendez des augmentations. La compagnie veut aussi limiter les avantages accordés au personnel et aux personnalités. Ils couteraient 80 millions d'euros par an. Mais là aussi, les syndicats veillent et les pétitions lancées en août dernier démontrent l'attachement du personnel à ces petits plus.

• La refonte annoncées des escales
C'est là que le travail de fond sera le plus important. L'exemple du conflit Corse au printemps dernier est un exemple concret. Des couches successives se sont créées pour faire plaisir aux politiques ou pour satisfaire une image. La situation, née de l'époque "entreprise publique", n'a plus lieu d'être aujourd'hui. Mais réussir la refonte des escales, c'est affronter des conflits. On le verra vite sur les bases de Province qui sont loin d'avoir obtenues les résultats escomptés. Et Air France a sans doute en tête une remise à plat des escales européennes et internationales, puisqu’on évoque aujourd'hui pour l'Europe, un sureffectif d'un millier de personnes. Sont-ils intégrés au PDV annoncé ou faudra t-il engager, plus discrètement des licenciements adaptés à la législation locale ? Pas de réponse aujourd'hui.

• Une meilleure lisibilité des tarifs pour reconquérir sa clientèle
"Quelle que soit la destination, Air France est plus chère et loin de la réalité de la concurrence", expliquait Marc Benoit, chef d'entreprise Lyonnais sur la scène du MarketPlace 2013. C'est l'autre grand chantier de la compagnie ces prochains mois, coller aux prix du marché pour ne pas apparaître inaccessible. Et les contrats corporate ne suffiront pas à garantir du trafic. Pas même les miles. On le voit dans certaines entreprises, Air France n'est plus forcément dans les SBT sur certaines destinations. La montée en puissance des compagnies du Golfe vers l'Asie ou l'Afrique explique sans doute cette situation. Revoir la tarification, c'est indispensable pour développer et stabiliser les marchés.

• Des alliances, accords et autres relations privilégiées
Air France a compris que réinventer la roue est inutile. Si Skyteam évolue lentement, il n'en va pas de même avec les accords spécifiques engagés avec Delta Airlines, Etihad et donc Air Berlin ou Alitalia. La compagnie est au capitale de l'italienne à hauteur de 25%. Tout cela pour dire que la compagnie a de la ressource pour offrir un maillage quasi complet du globe. Certes, ce n'est pas là que l'on gagne le plus d'argent mais offrir des solutions de voyage structurées aux voyageurs d'affaires. C'est un atout.

• Un réel attachement de la clientèle
Quoi qu'on en pense, Air France reste une compagnie forte chez les français. Certes, il est de bon ton de tomber à bras raccourcis sur la compagnie (les allemands font de même avec Lufthansa et les anglais avec British), mais globalement beaucoup de voyageurs d'affaires reconnaissent que des efforts sont fais. Moins d'arrogance, d'approche parfois hautaine des équipages. Désormais tout est fait pour aider et écouter le client. Cette nouvelle approche de la relation voyageur est née de la volonté d'Alexandre de Juniac de ne pas être à la traîne du transport aérien européen voire mondial. Même les étrangers le reconnaissent : voler avec Air France, c'est agréable !

Les moins qui font peur

Voyages d'affaires : faut-il croire en Air France ?
• Une image brouillée par des strates de marques
Air France, Hop!, Transavia, sans parler de CityJet – dont on ne parle pas dans ce plan, curieusement,... Bref, le qui fait quoi reste complexe. Excepté pour Transavia dont la mission est plus orientée vers le loisir que le business. Hop!, aujourd'hui encore télescope l'image d'Air France domestique. La tentation de recréer Air Inter avait été rejetée au moments de lancer la compagnie en raison de la vision européenne portée par Hop!. Mais dans l'esprit de l'acheteur, tout cela est confus. Côté Transavia, ce ne sont pas 30 mais 80 avions qui devraient porter la volonté low cost d'Air France. Aujourd'hui le plan de développement est confus. Il faut aller plus vite si l'on veut réellement effrayer les concurrents. Hop!, de son côté, devra clairement marquer son territoire. Si la décision de limiter les affrètements pour le compte d'Air France a été prise, il faut désormais donner de l'ambition à la petite dernière. Lionel Guérin le veut et a toujours manifesté son avis de coller aussi aux besoins du voyage d'affaires. Une source de rentabilité évidente sur le court et moyen courrier qui a perdu 700 millions d'euros en 2012. Et la solution ? Confier à Hop! l'exploitation totale du court et moyen courrier et lui donner les moyens de développer la sous-traitance, moins chère que l'exploitation assurée par les équipes d'Air France.

• Des mouvements sociaux qui ne demandent qu'à se déclencher
Inutile de rêver non plus sur la gestion sociale actuelle. Si le dialogue reste de mise, malgré quelques couacs, passer à la vitesse supérieure engendrera des dommages collatéraux comme des grèves dures et longues. Mais côté Direction, si l'on est conscient du risque, on sait aussi que la période n'est pas favorable à ce type de mouvement. Méthode de Juniac, reprise par Frédéric Gagey : sérier les catégories de personnels. Jouer avec les pilotes sans pour autant exclure les PNC ou les salariés au sol. La méthode a ses limites. Il y aura certainement des mouvements sociaux à affronter... Il reste à en mesurer l'ampleur.

• Toujours des coûts d'exploitation et de commercialisation élevés
Si le développement du net est une réussite, la vente directe reste aujourd'hui limitée aux PME/PMI. Pour les grands comptes, il n'en va pas de même. Les appels d'offres, piliers de la relation commerciale entre ses clients et la compagnie, coutent cher. Au delà, Air France devra revoir sa structure commerciale. Les modifications sont engagées. Le nouveau boss de cette division, Patrick Alexandre, a conscience des efforts à faire pour rester concurrentiel. Pour l'exploitation des vols aussi, il y a du grain à moudre. Avec un coût au kilomètre proche de 7 centimes, la compagnie est loin des 3,6 de Ryanair (Championne toute catégorie) ou des 4 d'EasyJet. Seul bon point, avec 4,2 Transavia est bien positionnée dans la course. Mais réduire ne veut pas dire limiter. Alexandre de Juniac a fait de la reconquête de la clientèle un objectif prioritaire. Nouveaux sièges en classe éco présentés à IFTM Top Resa, nouvelle business en janvier 2014 et une refonte de l'offre à bord. "Devenir le Singapore Airlines européen" serait l'ambition de la compagnie. De Juniac mettra les moyens pour y arriver. Enfin, la gestion du fret passera par une réduction drastique de la flotte (deux avions dédiés d'ici 3 ans).

• Faire le jeu des low cost
Attendre, c'est donner du temps à la concurrence de se développer. Mais au delà des efforts permanents d'Easyjet, de Ryanair ou d'AirBerlin, la stratégie de développement d'Air France ne devra souffrir d'aucune perte de temps. Il lui faudra aller vite pour ne pas laisser la place à ses concurrents. En concevant un programme réussi entre le long, le moyen et le court courrier, elle démontrera à ses clients, comme à son personnel, qu'elle sait ou elle va, comment elle atteindra ses buts et les résultats espérés. C'est tout ce que demande l'interne et sans doute ce que souhaitent les voyageurs.