Voyages d’affaires : les méfaits de la jalousie

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Une entreprise française, dont je tairais le nom pour respecter la confidentialité demandée, a fait réaliser une enquête interne sur la cohésion sociale entre les salariés du groupe. A la base de ce travail, la mise à plat de primes d’objectifs versées à tous les échelons de la société : production, commercialisation, gestion administrative. Cet avantage financier, mis en place dans les années 80, fait désormais l’objet de vives critiques en raison de la disparité des primes et de la méthode de calcul, vieillissante et inadaptée à l’époque. Nous parlons de moins de 20 € par mois en moyenne.

A l’occasion de ce travail, deux blocs bien distincts de salariés ont été recensés par les analystes. D’un côté, les sédentaires. De l’autre, les voyageurs. Au final, les critiques formulées par les sédentaires à l’encontre des voyageurs ont inquiété les dirigeants de cette société qui se sont interrogés sur les raisons de cette opposition. L’analyse des focus groupes créés sur le sujet a été révélatrice du malaise. Selon les «sédentaires», les voyageurs sont moins soumis à la pression, bénéficient de promotions plus rapides et manquent d’humilité. Une sorte de «caste des seigneurs» dont l’apparente arrogance est une «provocation permanente». Le simple fait de sortir de l’entreprise, «tous frais payés» selon l’expression consacrée, a suffi à générer une jalousie dont on ne mesurait pas la portée.

Bien évidemment, il faut relativiser. Si des inimitiés sont apparues, elles n’ont pas pour autant pénalisé l’entreprise au quotidien. Certes, le travail d’équipe s’en est retrouvé parfois bousculé et les relations tendues peuvent expliquer quelques dysfonctionnements. Pour autant, il était hors de question de laisser cette situation perdurer. Des réunions croisées, sur le thème de la solidarité professionnelle, viennent de se mettre en place. Le travail des voyageurs a été détaillé aux sédentaires. Et certains d’entre eux sont même partis sur le terrain pour constater que se déplacer avec des contraintes est loin d’être rose tous les jours. Petit plus, une liste de vœux a été créée pour que les voyageurs en déplacement «long courrier» puissent penser à leurs collègues qui vont les solliciter pour des achats en duty free…Quand cela est possible.

Au-delà, la société vient de créer des groupes de travail, constitués de salariés, et dont la mission est d’alimenter un baromètre social de l’entreprise. Une mesure permanente de la relation humaine. Une carte géographique des déplacements a été installée dans la salle de repos. Chacun peut visualiser les déplacements engagés et mieux comprendre la finalité du travail de terrain. On ne connait pas encore le résultat de ce travail. Seule certitude, en trois semaines, l’ambiance dans la société est détendue et les efforts de tous sont salués par la direction.

Pierre Barre