Tobias Ragge et Pierre Mesnage (HRS) : « Nous observons un effet de convergence chez nos clients »

1906

Le CEO de la centrale de réservation HRS et son nouveau directeur général Europe de l’Ouest, Tobias Ragge et Pierre Mesnage, se sont exprimés sur l’évolution du marché du voyage d’affaires et sur les ambitions du HBT, notamment en France. Inflation, négociation des contrats corporates et fin du monopole des GDS, les deux hommes se sont prêtés au jeu de l’interview croisée.

Commençons par revenir sur ce qu’il s’est passé chez HRS au cours de l’année 2023 et vos projets pour 2024….

Tobias Ragge : Chez HRS, nous travaillons depuis plusieurs années à développer la technologie pour parvenir à proposer une solution « end-to-end ». Aujourd’hui, la question est de savoir ce que veut la clientèle corpo et ce dont les entreprises ont besoin. Pour définir ces besoins il y a 3 éléments principaux. Le premier porte sur la meilleure offre au meilleur prix, et il ne s’agit pas uniquement du « coût direct », cela inclut le coût du process. Deuxièmement, le bien-être des employés est devenu très important, en particulier pour la génération Z et les natifs du numérique. Enfin, le troisième élément porte sur la gestion des risques. Plus que jamais, les entreprises doivent gérer des risques liés à la sécurité, à la fraude, faire en sorte que les options choisies soient les plus durables possibles. C’est une chose sur laquelle elles veulent avoir le contrôle sous peine « d’être punies » ou écoper d’une amende, comme aux Etats-Unis.

Nous allons donc continuer de travailler autour de ces 3 axes afin de faire respecter les règles en entreprise et pour cela, il faut savoir convaincre les personnes d’utiliser notre solution. Avant, le processus d’approvisionnement était souvent déconnecté du processus de réservation et cela posait problème. L’avenir de la gestion des voyages ne concerne plus uniquement les opérations mais également les outils qui seront choisis pour y parvenir.

Doit-on craindre que l’inflation continue en 2024 ? Cette dernière a-t-elle eu un impact sur votre activité et celles des hôteliers ?

TR : Oui, je pense que l’inflation va continuer. Nous prévoyons une augmentation des prix de l’ordre de 3%, même si cela reste une moyenne. Le principal risque à terme, est celui de la récession économique donc la gestion des coûts en 2024 reste un élément essentiel. Chez HRS, nous observons un effet de « convergence » chez nos clients. Ce que j’entends par là c’est qu’il y a une volonté de rassembler l’offre. Avant, il y avait des clients qui achetaient des hébergements pour leurs voyageurs de passage, pour les groupes, les réunions…Aujourd’hui, ils essaient de tout rassembler chez le même fournisseur afin d’avoir une capacité de négociation plus forte.

Est-ce une bonne période pour les entreprises pour négocier des contrats corporates ou l’avantage est-il définitivement du côté des hôteliers ?

TR : Les tarifs pratiqués sont effectivement très élevés et les hôtels sont dans une bonne situation économique. Pour les entreprises, il est vrai que l’environnement leur est moins favorable mais faire des bonnes affaires est possible. C’est une bonne période pour négocier les contrats. En parallèle, ce que nous observons aux Etats-Unis est que depuis 6 mois la demande dans le marché Loisirs commence à décliner et à ralentir. D’où la nécessité pour les hôteliers de négocier avec les corporates afin d’assurer le remplissage, en semaine notamment.  

Nous avons également beaucoup vu/lu à travers de récentes études que le marché du business travel est actuellement porté par les PME/ETI et le MICE, vous confirmez ?

TR : Globalement, au niveau européen je pense que le segment des grandes entreprises reste extrêmement porteur, car il y a une dimension mondiale que le mid-market n’a pas toujours. Le marché des PME/ETI est reparti plus vite en général car, il y a moins de contrôle au niveau des voyages d’affaires et qu’elles avaient besoin de maintenir la trésorerie. La question est de savoir s’il s’agit d’une tendance qui va durer ou non. Ces petites et moyennes entreprises font face à de nombreux défis et je ne suis pas certain qu’il faille se concentrer de façon spécifique sur ce marché. En France, cela est peut-être différent. Il faut réussir à trouver le juste équilibre.

Pierre Mesnage : Il faut aussi constater la nette diminution des voyages internationaux et la prendre en compte. Les Européens qui voyagent vers le Japon ou l’inverse sont maintenant beaucoup moins nombreux c’est un fait car, il y a des outils technologiques qui permettent de limiter les déplacements. En revanche, en Europe et en France, on observe une forte hausse des voyages domestiques. Il y a une explosion de ce type de voyages et le télétravail a renforcé ce phénomène. Désormais, les entreprises doivent gérer leurs salariés à distance mais aussi organiser régulièrement des réunions en présentiel, des séminaires…De nombreuses personnes viennent également au bureau deux jours par semaine en habitant désormais loin de leur lieu de travail et cela devient du voyage d’affaires car ces personnes se déplacent et il leur faut souvent un hébergement. Cette tendance est vouée à continuer. Le monde du travail et celui du voyage d’affaires évoluent.

En 2022, lors d’une interview, vous disiez ne pas croire à un retour des voyageurs d’affaires égal au niveau d’avant pandémie. Est-ce toujours le cas ?

TR : Non. Enfin, tout dépend de votre définition du mot rétablissement. L’humain a toujours besoin de construire une relation, d’être proche de l’autre et le virtuel ne peut pas répondre à ce besoin. En revanche, je reste convaincu que oui, une part importante des voyages d’affaires a disparu. En parallèle, comme nous le disions, on observe une augmentation des réunions ce qui fait également partie des déplacements professionnels, il y a donc un rééquilibrage qui s’opère. Mais le Covid n’est pas le seul responsable. L’augmentation des coûts a eu un gros impact sur la restriction des voyages et les entreprises ont dû faire face à des difficultés de recrutement. Elles ont aujourd’hui un besoin énorme d’investir dans la numérisation et les outils digitaux pour automatiser un maximum de tâches pour pallier cette pénurie de main-d’œuvre, entre autres.

> A lire aussi : Tobias Ragge (HRS, CEO) : « Le business travel du futur ? 70 % de 2019 »

PR : Oui, je suis d’accord avec ça. Le Covid n’a pas été un simple accélérateur pour l’adoption de solutions numériques mais un véritable cataclysme. On assiste à une explosion des besoins depuis 2020. Je me souviens avoir dû piloter une équipe de 150 personnes uniquement à distance à cette période. Comment fait-on dans ces moments-là ? On s’adapte et on fait en sorte que tout le monde adopte de nouveaux outils digitaux. L’automatisation a été l’un des besoins auxquels il a fallu répondre le plus rapidement. Chez HRS, un investissement massif a d’ailleurs été fait sur l’IA, ce qui a permis de créer cet outil « end-to-end ».

Pierre, de votre côté vous venez de quitter Goellett/CDS, pourquoi un tel changement ? Quelles vont être vos priorités et quelles sont les spécificités du marché français ?

PR : J’avais besoin de nouveaux challenges tout en ayant l’envie de rester dans la tech et le business travel. J’étais prêt à intégrer une entreprise technologique qui aille au-delà du simple aspect login. Tobias a réussi à créer une solution différente de ce sur quoi j’ai pu travailler dans mes précédentes missions. Mon rôle va être de valoriser cela sur le marché français et de créer une connexion entre tous les acteurs de l’écosystème pour répondre aux besoins de chacun. Ensuite, sur le marché français, nous souhaitons monter en puissance sur le segment des grandes entreprises puis nous concentrer sur le recrutement. L’objectif va être de gagner en visibilité, mettre en avant nos différences, nos atouts et repartir dans une logique de « conquête » en investissant sur la communication.

TR : Je pense également que l’industrie du voyage est un train de changer. Nous sommes dans une période charnière. Si vous suivez ce qu’il se passe aux Etats-Unis avec NDC et American Airlines qui a décidé de retirer une partie de ses tarifs des GDS, on voit bien que les choses évoluent. Suite à cette décision, toutes les compagnies américaines ont suivi et nous sommes en droit de nous demander si l’on n’assiste pas au début de la fin du monopole des GDS. Chaque entreprise doit se poser la question de la stratégie à adopter et voir sur le long terme en ce qui concerne voyage d’affaires. Côté hébergement, si vous effectuez un long séjour ou faites une réservation de groupe, cela n’est pas possible dans le GDS, donc quel outil utilise-t-on pour y parvenir ? Désormais, il est bien plus facile de réaliser des interconnexions via des API et donc de proposer des solutions de bout-en-bout. L’entreprise n’a plus, ou moins, besoin de faire appel à un GDS. De plus, les GDS ne couvrent en moyenne que 20% de l’offre réelle du marché hôtelier avec un catalogue de 100.000/120.000 fournisseurs alors qu’il en existe plus de 600.000. Désormais, le client ne veut plus uniquement avoir accès aux grandes marques de l’hôtellerie. Notre rôle pour aider le marché du business travel dans cette transition va être, à mon sens, important et nous devons faire en sorte que cela fonctionne pour tout le monde.

Le marché français est-il un marché prioritaire pour HRS ?

TR : Je suis effectivement très heureux que Pierre rejoigne l’équipe. Après la pandémie, nous avons mis en place une nouvelle équipe de direction au niveau monde et nous considérons toujours que la France est un marché stratégique avec de grandes opportunités. La France a une place particulière en Europe et il est essentiel de construire une équipe solide dans ce pays pour relever de nouveaux défis et accélérer sur ce marché. Au-delà de la distribution hôtelière, c’est vraiment tout un écosystème que nous souhaitons fédérer autour de notre solution. L’avenir de l’industrie dépendra de notre capacité à collaborer afin de créer la bonne technologie. Nous passons d’une ère de gestion des transactions à une ère d’écosystème et de collaboration.

Dans le petit monde des HBT, vous avez Hcorpo qui appartient au géant français Accor et CDS qui vient d’acquérir l’Allemand Corporates Rates Club, la montée en puissance de ces acteurs vous inquiète-t-elle ? Comment vous positionnez-vous par rapport à eux ?

TR : Je pense que nous proposons tous aujourd’hui des produits différents. Donc finalement, je ne les considère pas comme des concurrents directs. OK nous sommes sur le même segment, mais nous proposons des choses différentes. Chez HRS, nous ne proposons pas uniquement une solution pour réserver de l’hébergement, nous avons également une offre pour répondre aux demandes de séjours longue durée, de groupes…Alors oui, nous sommes en compétition mais chacun vient répondre de façon spécifique à un besoin au niveau local. Cela montre qu’il existe de multiples besoins et une forte demande de la part du marché car tous les acteurs en tirent profit. La compétition est une bonne chose et cela nous pousse à nous améliorer bien que, comme je l’ai dit, je ne les considère pas comme des concurrents directs.