A quel jeu joue Qatar Airways ?

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Décidément rien n’est simple lorsque l’on évoque le Qatar et encore moins quand il s’agit de Qatar Airways, compagnie menée tambour battant par le flamboyant Sheikh Akbar Al Baker depuis sa création en 1993. Ce dernier est tout sauf facile et il devient très chatouilleux dès que sa compagnie est attaquée, fusse par les Etats-Unis.

Avec la chaîne de télévision Al Jazzera, la compagnie aérienne est le symbole de la réussite de ce royaume assis sur une manne gazière. Il n’est donc pas surprenant que le Gouvernement pousse au développement forcé de son transporteur drapeau. Or ce dernier ne peut pas rivaliser avec la taille de son voisin de Dubaï. Donc, pendant des années il a essayé de le battre sur la qualité du produit et du service. Cela était difficile jusqu’au moment où la compagnie a pu bénéficier d’un aéroport dessiné selon ses désidératas. Hamad Airport, dirigé également par Al Baker, est opérationnel depuis maintenant 2 ans et Qatar Airways en a tiré les avantages escomptés. Elle pointe devant Emirates sur le très convoité classement Skytrax.

Bref, tout semblait aller comme sur des roulettes pour le Qatar jusqu’au moment où les pays voisins ont, sans doute sous la pression américaine, coupé brutalement leurs relations diplomatiques avec le royaume. La conséquence a été l’arrêt immédiat des très nombreuses liaisons aériennes que Qatar Airways opérait vers Dubaï, Abu Dhabi, l’Arabie Saoudite et le Koweit. Voilà de quoi rendre nerveux tout dirigeant. Oh certes, l’argent est le moindre des soucis de la compagnie, celle-ci est détenue à 100 % par l’Etat et celui-ci dispose de considérables réserves, mais il reste les difficultés d’exploitation, de reconversion des appareils, de réacheminement des passagers et la gestion d’une image dégradée.

Eh bien, rien de tout cela ne semble avoir atteint le CEO de la compagnie. En guise de réaction, il a d’abord maintenu ses commandes d’appareils, rappelons qu’il s’agit de 30 B 787/900, de 10 B 777-300 ER et d’une lettre d’intention portant sur 60 B 737 Max. Curieusement toutes ces commandes intéressent Boeing, c’est-à-dire le constructeur d’un Etat qui veut toutes les misères à sa compagnie. Mais il a fait un pas supplémentaire en annonçant son intention de prendre 10% d’American Airlines pour 808 millions de dollars, en commençant par un bloc de 4,85 %. En théorie, rien ne l’empêche d’acheter en bourse les actions du transporteur emblématique des Etats-Unis. Il deviendra alors l’un des principaux actionnaires. Les autorités américaines ont immédiatement réagi en faisant savoir que cela ne changerait en rien la politique de défense contre les compagnies du Golfe entamée depuis maintenant près de 2 ans.

C’est là que se pose la question de la stratégie d’Akbar Al Baker. Car cette prise de participation, si elle se confirme, vient en complément des 20% que Qatar Airways a pris dans IAG qui détient, rappelons-le, British Airways, Iberia et Vueling, des 10% déjà souscrits dans LATAM le grand transporteur sud-américain et des 49% que la compagnie qatari entend contrôler dans Meridiana.

Quelle utilisation Qatar Airways veut-elle faire de ces achats, tout de même très significatifs pour une compagnie dont le chiffre d’affaires est juste au-dessus de 10 milliards de dollars et les derniers résultats de 540 millions de dollars. Sachant que les premiers 10% souscrits dans IAG ont été payés 1,53 milliards d’Euros, on peut supposer que le doublement de la participation entraine un investissement identique. Au total Qatar Airways aura alors déboursé plus de 3 milliards de dollars rien que pour le groupe IAG et on peut estimer la totalité les achats annoncés à 5 milliards de dollars soit la moitié de son chiffre d’affaires et 10 fois le meilleur bénéfice publié.

Et on dit qu’Akbar Al Baker aurait également des visées sur la Royal Air Maroc et l’indien Indigo.

On se demande bien à quoi tout cela peut servir. Oh bien sûr Qatar Airways peut espérer des dividendes de la part de IAG, mais qu’attendre de LATAM qui se débat toujours dans de grandes difficultés, de Méridiana dont le groupe Aga Khan serait si ravi de se défaire et qui n’a quasiment jamais gagné d’argent ?

Dans le fond, cette stratégie ressemble beaucoup à celle menée par Etihad Airways au moment où les revenus du pétrole flambaient et dont le résultat est tout sauf glorieux. Une chose est certaine, ce n’est pas avec des participations minoritaires que Qatar Airways pourra influencer la stratégie des compagnies dans lesquelles elle aura investi. Tout au plus les transporteurs concernés auront-ils tendance à demander au transporteur qatari d’assurer leurs fins de mois en cas de difficultés. Comme cela s’est passé pour Etihad Airways.

Jean-Louis BAROUX