AF 447, jusqu’où faut-il pousser les interrogations ?

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A en croire les commentaires de la presse française, Airbus et Air France pourraient être mis en examen pour le crash du Rio/Paris qui a fait 228 morts le 1er juin 2009. Il y a bientôt deux ans. Le mois prochain débute une 4ème campagne de recherche des boites noires, sans aucune certitude sur ses chances d'aboutir. Si l’on peut comprendre la douleur des familles et leur besoin d’information face à un tel drame, le déroulé de cette terrible affaire est surprenant. D’autant plus que chaque mois, voire chaque semaine, apporte son lot d’informations, plus ou moins vérifiées.

Est-il politiquement incorrect de dire qu’un accident d’avion fait malheureusement partie de notre environnement moderne ? Est-il politiquement incorrect de de pousser la réflexion à l’extrême et de se dire, en se basant sur le modèle de l’aérien, qu’à chaque accident de la circulation, il faudrait attaquer le constructeur de la voiture et le concepteur de la route ? Est-il politiquement incorrect de penser que les victimes doivent reposer en paix et que, face à la cruelle absence, seul leur souvenir compte désormais aux yeux de leurs proches ? Chaque observateur, selon sa position dans la chaîne du savoir aérien, possède aujourd’hui sa vérité sur cet accident. Les pilotes évoquent la fatigue de leur métier, les mauvaises conditions météo ou les sondes Pitot. Ces dernières, d’ailleurs, ne seraient plus les seules en cause. Même celles produites par les concurrents auraient des défaillances. Les responsables d’Airbus se sont penchés, des heures et des heures, sur le pourquoi du comment et, prudents, ne veulent pas tirer des conclusions à partir de supputations non vérifiées. Aujourd’hui c’est au tour des juges de comprendre. Mais avec quelles preuves, quels faits, quels constats ?

Voilà quelques années, j’ai animé une conférence avec Jean-Cyril Spinetta quelques mois après le crash du Concorde. C’était dans le cadre du Cannes Airlines Forum, organisé par Jean-Louis Baroux. Plus de 400 personnes dans la salle, un silence pesant et une phrase lourde d’émotion «Comprendre ne suffit pas», a dit le patron d’Air France, «Toutes les explications ne comblent pas cette douleur qui s’installe dans l’entreprise et qui, du mécano au pilote, nous envahit. Nous avons également perdu des hommes et des femmes, des voyageurs qui nous faisaient confiance. Tout cela va bien au-delà de la seule compréhension technique de ce qui s’est passé». L’histoire est un recommencement qui aboutit souvent aux mêmes conséquences même si les causes sont différentes. Ce vol AF 447 est déjà installé dans le souvenir, l’actualité a chassé l’accident du devant de la scène. Aujourd’hui c’est aux familles que l’on doit assistance. Saura-t-on un jour ce qui s’est passé ? Sans doute jamais. Et c’est le plus cruel de toute cette tragique histoire. Paul Fort disait que les «hommes ne meurent pas quand on les enterre. Ils meurent quand on les oublie».

Marcel Lévy