Air France : Jean-Cyril Spinetta veut lutter contre les compagnies du Golfe et les low cost

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Même s'il n'est plus "l'opérationnel" à la tête de la compagnie Air France, Jean-Cyril Spinetta,président du conseil d'administration du groupe Air France-KLM, ne baisse pas les bras face aux compagnies du Golfe. Des attaques ciblées et détaillées délivrées dans une longue interview publiée par le Figaro et reprise, chose rare, sur le site corporate de la compagnie. Extraits choisis de cette interview.

Air France : Jean-Cyril Spinetta veut lutter contre les compagnies du Golfe et les low cost
Alors que Jean-Luc Grillet s'étonnait dans nos colonnes la semaine dernière des attaques répétées d'Air France contre Emirates, Jean-Cyril Spinetta explique d'où pourrait venir le danger des compagnies aériennes du Golfe, plus soucieuses de parts de marché que de rentabilité.

Le Figaro : Pourquoi les compagnies du Golfe, comme Emirates ou Etihad, ne semblent-elles pas vouloir intégrer les alliances dans l'aérien ?

Jean-Cyril Spinetta, président du conseil d'administration d'Air France-KLM : Elles disent tout simplement ne pas en avoir besoin ; c'est donc à elles qu'il faut poser la question. En réalité, ces compagnies trouvent la grande majorité de leurs clients non pas dans leurs pays respectifs, dont la population est modeste, mais sur les marchés européens, asiatiques ou africains. .... Mais il y a plus grave. Ces compagnies sont gérées sans les contraintes économiques et financières de rentabilité qui s'imposent dans une économie ouverte à tous les acteurs économiques. L'exigence de profitabilité, qui est l'exigence première de tout acteur économique privé, est tout à fait secondaire pour ces compagnies....Aucune autre grande activité économique mondiale n'est confrontée à ce type de situation. Imagine-t-on par exemple qu'un ou plusieurs constructeurs automobiles puissent dire «Mon propos n'est pas de gagner de l'argent mais des parts de marché» ? Si on les laissait faire sans réagir, ils tueraient l'industrie automobile mondiale. C'est ce que sont en train de faire ces compagnies du Golfe pour notre industrie.

Le Figaro : Pourquoi les compagnies traditionnelles se sont-elles laissé grignoter des parts de marché importantes par les low-costs en Europe ?
J.-C. S.: Les grandes compagnies européennes, qui sont toujours les plus grands transporteurs internationaux du monde, ont comme cœur de métier l'optimisation des relations aériennes entre l'Europe et le reste du monde. Elles se sont concentrées avec succès sur leur modèle, qui est d'alimenter les vols long-courriers en organisant ses correspondances entre ces vols et les vols européens. C'est le modèle du hub. Mais cela handicape la capacité des avions moyen-courriers à voler plus de huit heures par jour. C'est l'élément essentiel de la moindre compétitivité des transporteurs traditionnels face aux low-costs.

Le Figaro : Pourtant, Air France avait l'expérience d'Air Inter, qui était spécialiste des court-courriers ?
J.-C. S.: Cette compagnie, qui n'assurait que des vols domestiques, s'était focalisée sur l'optimisation du modèle court-courrier, afin d'être compétitive face au TGV ou à la voiture : rotation des avions, revenue management, densification des cabines, organisation des escales… Il est vrai que, dans la fusion, on a trop oublié cette façon de travailler qui était la meilleure sur un réseau court-courrier domestique. On a perdu cette culture et c'est dommage. Le nouveau projet d'Air France visant à créer des bases de province est une forme de retour à ce modèle.

Le Figaro : Ryanair a-t-elle atteint son apogée ?
J.-C. S.: Lorsque le patron de Ryanair déclare : «Si je suis soumis aux mêmes charges que les autres, alors je m'en vais, je quitte Marseille», il reconnaît que son modèle économique ne fonctionne plus s'il doit se plier aux mêmes règles que ses compétiteurs d'Europe continentale. Il vient de faire la même chose à Francfort. Pourtant, le droit européen est clair : toute activité basée dans un pays doit respecter les droits sociaux de ce pays. Il est inacceptable que les règles européennes soient à ce point bafouées par Ryanair. Sans subventions et avec des charges sociales équivalentes, l'écart de coût entre les deux modèles sera nettement moins grand. Moi qui suis corse, je suis effaré par ce qui se passe à Figari : il manquerait 60.000 euros sur la subvention promise à Ryanair, alors elle décide de tout arrêter instantanément. Michael O'Leary fait ainsi la démonstration qu'il a besoin d'argent public pour soutenir son modèle.