Air France-KLM, et maintenant ?

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Ce qui vient de se produire, c’est-à-dire la montée au capital d’Air France/KLM de l’État néerlandais n’aurait pas dû nous surprendre. Ce n’est que l’aboutissement d’un processus entamé au milieu de l’année dernière et qui s’est accéléré récemment.

En effet, il faut se rappeler qu’en juillet 2018, Pieter Elbers, le PDG de KLM a refusé sa nomination à la tête du groupe car cela l’aurait obligé à quitter ses fonctions au sein de KLM. Au fond pour lui, la compagnie hollandaise était plus importante que le groupe AF/KL. C’est assez dire à quel point il tenait à son indépendance. Et depuis les relations se sont dégradées car le nouveau CEO, Benjamin Smith, a tenté de rationaliser la gouvernance en s’imposant au Conseil d’Administration de KLM, ce qui avait toujours été refusé par la partie batave. Récemment l’affaire s’est envenimée, Ben Smith ayant menacé de ne pas reconduire Pieter Elbers dans ses fonctions de PDG, et il en avait le pouvoir en tant que représentant de l’actionnaire ultra majoritaire. C’était un casus belli non seulement pour le transporteur néerlandais mais pour le pays tout entier.

En fait et depuis l’origine, le rapprochement des deux compagnies historiques européennes créées en 1919 pour KLM et 1933 pour Air France, s’est plus fait sur la base d’un mariage de raison, voire d’intérêt qu’un mariage d’amour. Certes Air France, alors le transporteur dominant, y compris quant à ses résultats, a tout fait pour ménager la susceptibilité des salariés de KLM mais, au fond, rien n’y a fait et les Hollandais ont toujours eu un sentiment d’injustice face à cette situation. Sentiment d’ailleurs largement aggravé depuis que KLM apporte l’essentiel du résultat d’exploitation dans le groupe. Alors les Hollandais regardent avec quelques commisérations et interrogations le comportement de leurs homologues français qui se mettent en grève pour un oui ou un non et qui pour autant pensent donner des leçons de gestion. Je ne suis d’ailleurs pas certain que la crise des "gilets jaunes" et l’image déplorable qu’elle donne de la France à l’étranger, n’ait pas accentué la méfiance néerlandaise vis-à-vis des français.

Pas de majorité claire au sein du groupe
Bon, l’affaire est faite. L’État néerlandais possède maintenant 14% du capital du groupe, quasiment à égalité avec l’État français. Pour tout dire, en dépit des bonnes paroles échangées entre les deux ministres de l’Économie, je ne voudrais pas me trouver à la tête d’un ensemble qui va devenir très difficilement gouvernable. En effet, n’oublions pas que le précédent PDG du groupe, Jean-Marc Janaillac, a dû céder 8,70% du capital à Delta Air Lines et autant à China Eastern pour financer l’acquisition d’une part significative de Virgin Atlantic sur la demande pressante de Delta Air Lines.

Finalement, il n’y a plus de majorité claire car les droits de vote de Delta Air Lines et de China Eastern peuvent se porter aussi bien vers le côté français que vers les Pays Bas. Comment dans cette configuration arriver à faire prendre des orientations à long terme sur la composition de flotte, le type de transporteur à haut niveau de service où à bas coût, voire sur la répartition du trafic entre les "hubs", les plans de charge respectifs entre les deux transporteurs surveillés de très près par les syndicats de pilotes, etc. ? Benjamin Smith s’est donné pour mission de faire de cet ensemble - Ô combien disparate - une machine à cash. Pour cela, il est nécessaire de simplifier les opérations et de clarifier la gouvernance. Ce n’est pas gagné.

Et maintenant, que faire ?
Il est certes facile à un observateur extérieur de proposer des scénarios alors qu’il n’a pas toutes les données en mains. Restons donc humbles dans notre analyse. Cependant certaines possibilités sautent aux yeux. La première consiste à se demander pourquoi les États continuent à se mêler de ce secteur d’activité. Les résultats sont toujours désastreux, l’exemple type est italien avec la lente dégradation d’Alitalia, mais aussi avec la stagnation de SAS possédée par trois pays : la Suède, la Norvège et le Danemark. Le premier service à rendre à l’entreprise serait certainement que les deux États acceptent de se retirer simultanément, les actions qu’ils détiennent étant remises dans le marché. Cela enlèverait une épine du pied aux dirigeants qui pour le moment doivent surveiller de très près leur relation avec les deux gouvernements, ce qui va à coup sûr freiner la mise en place des réformes nécessaires.

Mais il reste aussi une autre possibilité, plus radicale celle-ci. Lorsque dans un couple on ne s’entend plus, la séparation reste la seule bonne solution. Pourquoi alors ne pas laisser KLM reprendre son indépendance quitte à signer avec elle des accords d’exploitation et de commercialisation contraignants ? Après tout, si les Néerlandais ne supportent plus de dépendre des Français, ils peuvent toujours racheter leur entreprise. Elle devrait valoir tout de même un bon paquet d’argent, lequel serait bien utile pour désendetter Air France et lui donner les moyens de repenser son produit de fond en comble.

Air France peut devenir la meilleure compagnie aérienne au monde, quitte à être moins importante. N’est-ce pas un challenge de grande qualité ? Il a d’ailleurs été pointé dès son arrivée par Benjamin Smith.

Jean-Louis BAROUX