Air France KLM versus Emirates : la guerre…des chiffres

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Décidément , Jean-Cyril Spinetta a de la suite dans les idées. Lors d’une interview parue très récemment, il fulmine encore contre les compagnies du Golfe et en premier lieu Emirates, accusée de venir piller le marché d’Air France avec des pratiques incompatibles avec une gestion naturelle. En clair, il accuse la compagnie de recevoir des subsides de la part de son gouvernement qui est également son unique actionnaire et de profiter de cette aide pour faire une concurrence déloyale.

Cette sortie n’est pas nouvelle. Les participants d’un certain Cannes Airlines Forum se rappellent encore parfaitement de l’adresse que le Président d’Air France avait envoyée à Tim Clark le Président d’Emirates. En substance : «Je tiens à signaler à Mr Tim Clark, s’il est encore dans la salle, (il y était), que je ne crois pas à la sincérité de ses comptes et que s’il l’accepte je lui enverrai un audit». Ce qui fut fait.

On aurait pu penser qu’à la suite de l’examen attentif des comptes, Air France aurait vu matière à attaquer son concurrent devant l’OMC par exemple pour aides illégales. Il n’en a rien été. Aussi j’ai été surpris de revoir Mr Spinetta emboucher les mêmes trompettes avec les mêmes arguments. Au fond, il a peut-être raison, me suis-je dit ? Alors je me suis penché sur les bilans des deux sociétés. Ils sont disponibles sur Internet, il suffit d’y passer un peu temps.

Finalement, on ne découvre rien de scandaleux ni d’un côté, ni de l’autre, mais une série continue de ratios à l’avantage d’Emirates. Certes, les derniers chiffres comptables annuels publiés datent d'un an puisque les entreprises clôturent leur bilan au 31 mars. Mais on a une tendance au moins pour Air France KLM pour 2010 puisque les résultats des 9 premiers mois de l’exercice sont connus.

Examinons donc les chiffres du dernier exercice. Emirates a fait un profit record de 714 millions d’euros alors que le groupe Air France-KLM affichait une perte record elle aussi de 1 559 millions d’euros. Comment expliquer un tel écart ?

Le coefficient de remplissage est à peu près identique dans les deux transporteurs : aux alentours de 80%, un peu plus pour Air France-KLM, un peu moins pour Emirates. Le chiffre d’affaires est de 8 740 millions d’€ pour Emirates et de 20 994 millions d’€ pour Air France-KLM soit 2 fois et demi plus important. Air France-KLM dispose de près de 4 fois plus d’avions qu’Emirates et ceux-ci produisent 1,57 fois le nombre de SKO.

On commence à voir poindre un écart de productivité important. Certes, Emirates a le gros avantage de n’opérer pratiquement que des longs courriers avec des appareils dont la taille moyenne est plus grosse que ceux d’Air France-KLM. Il n’empêche, la productivité de la compagnie du Golfe est bien supérieure à celle du géant européen.

Là où l’écart commence à se creuser très sérieusement, c’est dans l’analyse des frais de personnel et du rendement de chaque salarié. Emirates emploie 26 686 salariés alors que le nombre pour Air France-KLM se monte à 108 367 soit un ratio de 1 à 4. En entrant un peu plus dans le détail de la masse salariale, on s’aperçoit que le salaire moyen, charges comprises, est de 72 300 € par an chez Air France-KLM soit tout de même 6 025 € par mois alors qu’il n’est que de 47 070 € par an chez Emirates soit 3 920 € par mois. Convenons que même chez Emirates, ce n’est pas un salaire de misère et que les heureux personnels d’Air France sont bien rémunérés.

A l’analyse simple, un salarié d’Emirates produit 304 000 € par an alors que celui d’Air France-KLM, qui coûte 55% plus cher, ne produit que 193 700 € par an soit 37 % de moins que son homologue de la compagnie Emiratie.

Rajoutons qu’un passager d’Emirates produit un chiffre d’affaires moyen de 318 € contre 294 € à Air France-KLM et il ne nous reste plus qu’à faire la synthèse.

D’un côté une compagnie en pleine expansion portée par une bonne productivité par salarié et par avion, des charges salariales nettement inférieures et une recette par passager supérieure à celles d’Air France-KLM et vous avez l’explication de l’écart durable entre les deux transporteurs. Et il est probable que cela continue encore longtemps.

Jean-Louis BAROUX
Président-fondateur d'APG