Air France et Aéroports de Paris, même combat ?

65

Petite question sans doute stupide : que se passerait-il pour Aéroports de Paris si, à ce qu’à Dieu ne plaise, son principal client venait à faire défaut ? Bien entendu, ce scénario n’est absolument pas à l’ordre du jour et on peut légitimement espérer que les plans successifs de redressement de notre transporteur national vont être finalement couronnés de succès. Encore faut-il que les pilotes ne se mettent pas une fois encore en travers en utilisant toujours leur bonne vieille méthode de la grève, sous le prétexte de défendre leur compagnie !

Mais on peut se poser également une autre question : comment se fait-il qu’Aéroports de Paris engrange depuis des années des profits tout à fait considérables : 403 millions d’euros en 2014 pour un chiffre d’affaires de 2 791 millions d’euros soit un ratio enviable de 14% alors que, dans le même temps, son client majeur accumule les pertes. Au point que les capitaux propres d’Aéroports de Paris se sont élevés à 3 980 millions d’euros alors que ceux d’Air France/KLM sont passés en négatif de 632 millions d’euros.

Est-ce parce qu’Aéroports de Paris est nettement mieux géré qu’Air France/KLM ? Ou bien est-ce qu’Aéroports de Paris jouit d’une position géographique et patrimoniale indéboulonnable, et que la société en profite un peu trop. Or si ADP profite trop de sa situation, c’est forcément au détriment de ses clients, au premier rang desquels Air France/KLM.

Au fond, ce qui frappe en regardant les choses de l’extérieur est que ces deux grandes entreprises ne semblent absolument pas travailler de concert. Elles se comportent l’une vis-à-vis de l’autre comme deux sociétés séparées sans but commun. Et c’est bien là que le bât blesse.

Les exemples abondent pour illustrer cette absence de but commun. Orly est artificiellement bloqué à 250.000 mouvements par an alors que la plateforme peut aisément en accueillir 400.000 sans pour autant que les riverains en soient pénalisés, à condition de gérer cet aéroport comme Roissy : à partir des quotas de bruit. Oui mais voilà, cela ne ferait absolument pas les affaires d’Air France car les créneaux ainsi libérés seraient occupés par les « low costs » étrangers qui auraient alors beau jeu de concurrencer la compagnie nationale sur son réseau moyen-courrier, ce dont Air France ne veux à aucun prix.

De son côté, Aéroports de Paris n’a pas fait les investissements nécessaires à la modernisation de sa plateforme de Charles de Gaulle pour la porter au niveau d’excellence dont disposent les grands concurrents d’Air France et particulier Emirates, qui jouit à Dubaï d’un outil aéroportuaire d’un tout autre niveau que celui dont dispose Air France pour son « hub » majeur.

Au fond, la vraie distorsion de concurrence entre les transporteurs du Golfe et les Européens vient du fait que les Emirates, Etihad, et Qatar Airways bénéficient d’une politique aéronautique cohérente. Soutenus par leurs Etats, ils se sont donné les moyens de conquérir les marchés extérieurs, non pas en soutenant leurs compagnies de manière financière, mais bien en mettant à leur disposition des infrastructures au sol incomparables.

Quelle serait la situation d’Air France/KLM si elle disposait d’un outil équivalent à l’aéroport de Dubaï voire même à celui de Singapour ou de Shanghai etc… ? Les marchés sont en Europe. La place de Paris est géographiquement la mieux placée pour recevoir les flux du trafic entre les Amériques et les pays Asiatiques. Comment se fait-il que nous nous soyons fait prendre la place par les aéroports du Golfe Persique, infiniment moins bien placés aussi bien géographiquement que politiquement ?

On souhaiterait beaucoup voir un très grand projet construit entre Air France/KLM, Aéroports de Paris - et même la SNCF - afin que la France puisse enfin disposer d’une plateforme aéronautique non pas d’un niveau égal aux concurrents, mais même largement supérieur. Seulement attention, ces concurrents vont vite. Dubaï a dimensionné son nouvel aéroport pour 160 millions de passagers, Pékin envisage un troisième terminal pour 60 millions de passagers et les autres aéroports ne sont pas en reste. Tour le monde doit s’y mettre.

La réussite future ne passe pas par le protectionnisme, mais au contraire par la libéralisation complète du transport aérien. Mais pour jouer dans la cour des grands, tous les acteurs français devront s’y mettre. Et l’Etat a pleinement son rôle de coordination à jouer.

Jean-Louis BAROUX