Air France, pourquoi le couac du Comex a-t-il enflammé l’entreprise ?

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Petites causes, grands effets ! En soi, l’affaire de la rémunération du COMEX d’Air France/KLM qui a fait couler beaucoup d’encre, est un tout petit phénomène. Il s’agit d’un écart de 800.000€ dans un ensemble de près de 25 milliards d’€ de chiffre d’affaires et le montant est quasiment imperceptible, même mis en rapport avec les frais de personnel lesquels sont de 7,474 milliards d’€. De plus la rémunération des 13 membres du COMEX n’a rien d’excessif. D’où vient donc ce tollé ?

Il y a plusieurs explications. La première et la principale réside dans le climat social délétère que le groupe affronte depuis des années, en clair et pour résumer, depuis que Pierre-Henri Gourgeon a pris la suite de Jean-Cyril Spinetta. Son absence de charisme a eu un impact considérable sur les relations à l’intérieur du groupe, que ce soit entre KLM et Air France et même à l’intérieur de la seule compagnie française entre les navigants et le personnel au sol. Les résultats désastreux de la période de gouvernance de Mr Gourgeon ne lui sont certes pas tous imputables, mais enfin il a bien été obligé de les assumer.

Les dirigeants suivants : Jean-Cyril Spinetta en intérim puis Alexandre de Juniac et maintenant Jean-Marc Janaillac se sont trouvés dans l’obligation de prendre, enfin dirons-nous, de sérieuses mesures d’économie et d’abord de diminution de la masse salariale. Ne nous y trompons pas, sans ces décisions impopulaires, la compagnie risquait bien d’aller au dépôt de bilan. Elle n’est d’ailleurs pas sortie d’affaires avec une dette nette de 3,655 milliards d’€ qui plombe les capacités d’investissements pourtant rendus nécessaires, ne serait-ce que par le renforcement de la concurrence.

Bref, les personnels et d’abord les syndicats sont devenus d’une extrême sensibilité à tout ce qui peut être perçu comme un avantage pour telle ou telle catégorie de salariés qui ne leur bénéficierait pas.

Or la compagnie ne s’en sortira pas sans de nouveaux efforts. Et à qui ceux-ci peuvent être demandés, si ce n’est aux salariés qui constituent la seule variable d’ajustement ? Depuis deux ans les comptes sont certes revenus dans le vert, mais cela est dû uniquement à la baisse considérable du coût du carburant qui est passé de 6,183 milliards d’€ en 2015 à 4,597 milliards d’€ en 2016, soit une économie de 1,586 milliards d’€. Ce montant est à mettre en rapport avec le résultat net du groupe qui est de 792 millions d’€.

L’affaire aurait pu passer inaperçue si les syndicats avaient été convaincus du nouveau plan présenté par la direction : « Trust Together ». Par parenthèses, on se demande bien pourquoi le fait de donner un nom, de préférence anglais, à une série d’actions constitue un gage de réussite. Mais ce n’est pas gagné et de toutes façons, la nécessaire amélioration de la situation économique du groupe passe par une diminution des conditions de travail. A salaire égal, plus de temps de travail, et même à plus de temps de travail, salaire diminué, comme cela est prévu pour les PNC futurs de Boost.

Dans ce contexte, l’annonce d’une augmentation de la rémunération de COMEX de 67% est venue mettre le feu aux poudres. Et l’explication d’une erreur d’imputation comptable est pour le moins difficile à comprendre, même si au final il s’agit bien de cela, l’augmentation n’étant que de 17%. Mais alors à quoi servent les centaines de salariés employés aux services comptables et à la gestion du personnel ? Et pourquoi les commissaires aux comptes n’ont-ils pas relevé ce qui était une anomalie comptable ? Après tout ces derniers, KPMG et Deloitte & Associés, perçoivent de confortables honoraires : 3,6 millions d’€ pour le premier et 3 millions d’€ pour l’autre. Si une telle opération a pu passer au travers de leurs analyses, n’est-on pas en droit d’être dubitatifs sur d’autres postes bien plus complexes à appréhender ?

Alors pour éteindre le feu, le nouveau Président d’Air France Franck Terner a dû annoncer une baisse de 10% de la rémunération du COMEX pour 2017, ce qui est pour le moins une injustice faite à ses membres car ou bien leur rémunération de cette année est justifiée, et alors on ne voit pas pourquoi ils seraient sanctionnés ou la sanction est nécessaire et alors elle aurait dû s’appliquer au dernier exercice.

Le groupe Air France/KLM est une poudrière. Jean-Marc Janaillac a été nommé pour éviter les conflits sociaux or il est bien à craindre qu’il soit amené à en affronter de sérieux cette année. On conçoit qu’il ait manifesté quelque colère vis-à-vis de la gestion de cette affaire.

Jean-Louis BAROUX