Dégraissez les mammouths !

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Ça y est ! La dernière grande compagnie américaine est passée sous le régime du Chapitre 11 qui gère en fait la loi des faillites aux Etats Unis. Autrement dit, le 3ème transporteur américain a déposé son bilan, comme on dit vulgairement. Certes les dispositions américaines sont plus souples que les françaises en particulier. Elles sont probablement plus adaptées à la mise en place et au succès d’un plan de redressement. C’est bien d’ailleurs l’objet que les dirigeants de la compagnie se sont assigné avec l’appui du juge en charge du dossier.

Dégraissez les mammouths !
Tous les grands transporteurs américains y sont passés, certains même plusieurs fois. C’est en fait le seul moyen qu’ils aient trouvé pour se séparer de leur personnel en surplus, accumulé au fil des années, car dans ces circonstances, les syndicats ne peuvent pas s’opposer aux décisions entérinées par un juge. Par contre, cette situation est très humiliante. Cela signifie que les directions de ces compagnies sont incapables de faire elles-mêmes leur ménage et qu’elles ont laissé s’accumuler des coûts devenus insupportables à traîner en face de concurrents dont les structures sont plus légères. Quelle revanche pour les « low costs » si longtemps méprisés par les transporteurs historiques ! Ils ont fait mettre genou en terre à tous les grands, sans pour autant copier leurs défauts. Tout au moins pour l’instant.

Pour avoir très souvent été amené à traiter avec ces compagnies, j’ai acquis une assez bonne expérience de leurs méthodes de travail qui finalement, se résumaient, vis-à-vis de leurs sous-traitants de façon très simple : « take it or leave it ! ». Pendant des années, ces compagnies ont cherché les économies sur leurs fournisseurs, tout cela afin d’éviter à faire le travail à l’intérieur de leurs maisons. Tous ces grands groupes se sont étonnés que leurs sous-traitants se portent parfois mieux qu’eux. Leur analyse était que ces fournisseurs de service se gobergeaient à leurs dépens alors qu’ils étaient tout simplement mieux gérés qu’eux.

Bien entendu, ils ont tous accusé la terre entière de ce qui leur est arrivé. Le coût du pétrole, le marasme économique, les contraintes écologiques, les aléas politiques, que sais-je ? Sans voir que le problème était en eux. Plus exactement, sans vouloir le voir, car alors ils auraient été amenés à prendre des mesures douloureuses et c’est justement ce qu’ils ne souhaitent surtout pas. Trop de privilèges, trop de salariés, trop d’avantages, trop peu de travail, trop peu de responsabilités, trop de camouflage, c’est bien ce qu’au fond d’eux-mêmes les dirigeants savaient, mais ils avaient peur de mettre en œuvre les mesures correctrices. Alors ils ont attendu d’être acculés au dépôt de bilan.

Nul doute que, comme les autres grandes compagnies américaines, American Airlines prendra, et rapidement, les décisions nécessaires. Nul doute non plus que la note sera particulièrement salée et d’abord pour les salariés dont beaucoup devront quitter une compagnie si confortable pour eux-mêmes.

Dans des circonstances analogues, Alitalia qui ne pouvait bénéficier de dispositions analogues au Chapitre 11 américain, est tout simplement passée à la trappe. La compagnie historique italienne n’existe plus que par sa marque, elle a été remplacée par la CAI (Compania Aerea Italiana) qui a embauché 8000 salariés sur les 23000 détenus par Alitalia et qui a dû céder 25% de son capital à Air France.

Est-on certain qu’un tel scénario ne puisse pas se reproduire à d'autres en Europe où les lois sont beaucoup plus contraignantes en cas de défaillance ? Beaucoup de transporteurs européens ont acquis de mauvaises habitudes. On appelle cela « le poids de l’histoire », pour dire que pendant des années, les dirigeants ont cédé aux demandes de leur personnel. Sans l’arrivée de transporteurs « low costs », cela aurait pu durer longtemps. Mais voilà, les clients ont le choix et les compagnies traditionnelles n’ont pas maintenu un écart de produit suffisant avec leurs concurrents pour justifier la différence des prix de revient.

Et comme pour les États européens, vient le moment où il faut payer la note !

Jean-Louis BAROUX