Et si les aéroports de Province la jouaient « collectif » ?

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Les aéroports français s’apprêteraient-ils à sortir de la logique du chacun pour soi ? Possible, même si la tendance n’en est encore qu’à ses balbutiements. L’exemple des aéroports de Brive et de Limoge, qui ont conclu récemment une "charte de bonne conduite", pourrait – devrait ? – faire des émules. Il trace en tous cas la voie d’une nouvelle approche du marché, centrée sur une logique territoriale, pas forcément incompatible avec des préoccupations économiques. Si la majorité des aéroports ne voient pour l’instant pas plus loin que le bout de leur piste d’atterrissage, différents facteurs pourraient pousser leurs responsables à cesser de jouer personnel, en adoptant une approche concertée.

Pour de nombreux aéroports basés en province, l’objectif est clair : être rentable, donc attractif, pour les passagers et forcément pour les compagnies aériennes. Tout est bon, dès lors, pour faire les yeux doux aux transporteurs susceptibles d’élargir l’offre de la plateforme. A ce petit jeu, c’est bien la compagnie qui impose bien souvent ses conditions, et qui peut se permettre d’exploiter un rapport de force qui penche dès le début en sa faveur. Ryanair est, forcément, l’exemple le plus criant du phénomène. La compagnie low-cost, consciente de ses atouts pour des aéroports qui luttent pour développer voire maintenir leur offre, n’hésite pas à jouer de la carotte et du bâton, en France comme ailleurs. L’aéroport d’Angoulême, qui a le premier décidé de se rebeller contre les contributions disproportionnées exigées par la compagnie irlandaise, s’attendait peut-être à une généralisation du mouvement. La plateforme de Pau n’a pas tardé à lui emboiter le pas. Qu’à cela ne tienne : Ryanair n’a pas eu à chercher bien loin pour trouver preneur, en se rabattant vers Biarritz, Lourdes et Béziers…

L’accord conclu entre les aéroports de Brive et de Limoges semble donc avancer à contre-courant de ce "chacun pour soi". Les responsables des deux plateformes se sont accordés au mois de mars, pour se tenir au courant des discussions entreprises avec telles ou telle compagnie. "Une réflexion concertée, ou du moins pas opposée", nous explique le directeur de l'aéroport briviste. Elle aura abouti à la mise en place par Airlinair de deux lignes croisées : Brive-Limoges-Nice et Limoge, Brive, Ajaccio. De tels accords, plus ou moins formels, peuvent donc aller plus loin qu’un simple pacte de non-agression, et accoucher de projets de développement qui bénéficient à des territoires proches. La démarche reste encore isolée, voire inédite. Mais le retrait de l’Etat des aéroports régionaux pourrait permettre de développer une approche plus cohérente, même si elle n’en est pas la finalité. Véolia, qui s’est lancée sur le marché, a d’ailleurs remporté récemment la gestion de l’aéroport de Carcassonne, en partie pour cette possible coordination entre des aéroports voisins. L’entreprise est déjà présente à Nîmes, et pourrait rapidement s’imposer à Perpignan et à Montpellier. L’approche globale, sur laquelle Véolia s'appuie en Languedoc Roussilon, miserait sur la complémentarité des plateformes plutôt que sur leur concurrence, et pourrait tracer le chemin d’un nouveau modèle d'organisation.

Au-delà de la rentabilité des aéroports, c’est bien le maillage du territoire et l’offre proposée aux voyageurs qui entrent en jeu. Les structures aéroportuaires ont tout à gagner à coordonner leurs projets, ou au moins à ne pas se "tirer dans les pattes". On l’a vu, et l’histoire devrait se répéter, un aéroport de province ne pèse pas bien lourd face à une compagnie en plein croissance. Et la dépendance face à ces moteurs de l’économie locale peut finalement engendrer des contreparties disproportionnées, et des conclusions hâtives en cas de désaccord. Il reste à savoir si les responsables concernés sont prêts à prendre un peu de recul sur leurs objectifs à court terme et à petite échelle, pour coordonner leurs efforts et remplacer la compétition par la compétitivité. Les aéroports y verraient peut-être plus clair. Les voyageurs d'affaires aussi.

Florian Guillemin