Etude: la réponse des compagnies aériennes historiques européennes à l’offensive du low-cost

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Nouvelle étude de SIA Partners, cabinet indépendant de conseil en management et stratégie opérationnelle, consacré cette fois à l'offensive du low cost. Une remarquable analyse qui prend en compte les évolutions du marché et se positionne face aux compagnies "traditionnelles" qui, elles aussi, font bouger leurs modèles.

Les compagnies aériennes historiques européennes ont connu, à partir des années 2000, une croissance de la concurrence de la part des acteurs low-costs comme la compagnie irlandaise Ryanair et la britannique Easyjet. Respectivement numéros 1 et 2 au niveau mondial des vols internationaux en nombre de passagers transportés[1], leur activité se concentre sur les vols court et moyen-courriers.

En Europe, ces segments d’activité sont globalement en croissance : après un épisode difficile en 2008 et 2009, le nombre de passagers a de nouveau augmenté en 2013 et 2014[2]. Durant ces 10 dernières années, la part du trafic intra-européen opéré par des compagnies low-cost a quasiment doublé[3]. Malgré une stratégie souvent centrée sur le long-courrier, plus rentable, les compagnies historiques (FSC – Full Service Carriers) cherchent à renouer avec la rentabilité sur un segment moyen-courrier dont les règles ont été redéfinies par les pure-players du low-cost (LCC – Low-Cost Carriers).

Elles adoptent en conséquence diverses stratégies visant à retrouver l’équilibre sur ce marché.

I- Les acteurs low-cost redéfinissent les règles du transport aérien court- et moyen-courrier, au détriment des compagnies historiques

Le modèle low-cost

Le modèle des compagnies low-cost est inspiré de celui de la compagnie SouthWest aux Etats-Unis. Cette dernière a été créée en 1971 et a parié sur une offre point à point à bas coûts basée sur organisation simplifiée et des caractéristiques qui sont maintenant considérées comme fondamentales du modèle low-cost aérien. En Europe, ce modèle a été développé depuis les années 90, notamment par Ryanair et Easyjet.

Ses caractéristiques sont :
  • Un réseau constitué de liaisons point-à- point permettant d’éviter la gestion des correspondances des passagers et des transferts des bagages. A titre d’exemple, Easyjet opère 675 routes et est la compagnie aérienne qui dessert le plus d’aéroports principaux en Europe sur le Top 100 des itinéraires principaux[4].
  • Une maximisation des rotations des avions pour les rentabiliser au mieux en maximisant leurs heures de vol. Cela signifie que les routes et horaires sont optimisés pour ne garder les avions au sol que le minimum de temps nécessaire.
  • L’utilisation d’une flotte d’avion homogène pour diminuer les coûts de formation, de pièces détachées et de maintenance.
  • Une desserte d’aéroports secondaires dans certains cas pour réduire les taxes induites.
  • Une minimisation des coûts de personnel.
  • Une offre « dépackagée ». Des ancillary services (services additionnels) sont proposés à la vente au passager. Non compris dans le prix de base du billet, ils représentent autour de 20% du chiffre d’affaires de Ryanair et Easyjet[5].
  • La maximisation de la distribution directe, en ligne, via le site de la compagnie, pour éviter les coûts de distribution des intermédiaires classiques (telles que les agences de voyage).
 
 Les FSC (Full Service Carriers) européennes ont perdu du terrain au profit des LCC (Low-Cost Carriers)

Ces caractéristiques du modèle low-cost ont permis aux LCC de progresser rapidement sur le marché européen des vols court et moyen-courriers, en ciblant principalement la clientèle « loisir » avant tout intéressée par des prix bas plutôt que par le confort et des services additionnels. En témoigne la progression du chiffre d’affaires et du nombre de passagers des principales compagnies low-cost européennes.
La montée en puissance des LCC menace également la position des compagnies historiques sur le segment du voyage d’affaire. Initialement orientées vers les voyageurs loisirs, les compagnies low-cost se développent aujourd’hui sur le segment du voyage d’affaire. Souhaitant exploiter le potentiel du marché des voyageurs à haute contribution que sont les voyageurs “business”, EasyJet et Ryanair proposent aujourd’hui chacun une offre adaptée, avec une flexibilité dans la modification de la réservation, un bagage en soute gratuit, un embarquement prioritaire et un choix du siège en amont du vol, tous ces services étant habituellement facturés au consommateur régulier.

Ceci représente une évolution importante du modèle low-cost initial de ces compagnies, tourné autour du service unique minimum. De plus, afin d’élargir leur clientèle, les offres des compagnies low-cost sont maintenant distribuées via les GDS au sein des agences de voyage d’affaires[6]. Les FSC doivent donc adapter leurs stratégies face aux politiques de développement agressives sur ce segment qui assure traditionnellement de meilleures marges.

II- Les FSC rationnalisent leurs activités court et moyen-courrier

La restructuration des activités court et moyen-courrier

Les principales FSC européennes renouvellent leurs offres court et moyen-courriers. Cette restructuration s’est traduite par d’importants plans de transformation chez les compagnies historiques à l’image des “Transformation Plan”, “SCORE programme” ou “Transform 2015” (et plus récemment “Perform 2020”) respectivement chez Iberia, Lufthansa Group et Air France-KLM.

Le développement par les FSC de filiales low-cost

 

Les compagnies historiques européennes développent des filiales low-cost adoptant les grands principes des LCC : rotation rapide des avions, peu ou pas de services additionnels compris dans le prix du billet, flotte unique… Elles sont donc en concurrence directe avec les LCC sur ce marché.

Lufthansa a choisi depuis le 1er janvier 2009 de transférer progressivement tous ses vols européens et domestiques vers Germanwings, une filiale low-cost qui lui appartient totalement. En 2012, l’ensemble des vols court-courriers ne desservant pas les 2 hubs principaux ont été migrés vers cette filiale, triplant presque sa flotte[7]. En 2013, après 5 ans de déficit sur le segment moyen-courrier, le groupe Lufthansa (incl. GermanWings) a renoué avec une activité bénéficiaire en 2013[8].

Dans le cas d’Air France – KLM, les segments court et moyen-courriers affichent des pertes de 440 millions d’euros (120 millions pour l’activité point à point et 320 millions pour celle concernant l’alimentation court et moyen-courrier des hubs) contrastant avec les gains de 730 millions d’euros sur le segment long-courrier[9]. Le groupe a décidé de développer une activité low-cost à destination de sa clientèle « loisirs », qui dessert principalement les destinations du pourtour méditerranéen : Transavia (France et Pays-Bas). Celle-ci se démarque de l’enseigne Hop !, fusion des compagnies régionales Brit Air, Régional et Airlinair, qui apporte une offre centrée sur le point à point. En croissance rapide (+60% de passagers entre 2011 et 2014), Transavia vise l’équilibre d’exploitation à horizon 2017 et la rentabilité en 2018[10].

Le groupe IAG a racheté la compagnie Low-cost Vueling. Avec un positionnement plus premium que Transavia et Germanwings ou les LCC pure players, Vueling se démarque en proposant une business class et des services comme l’accès à un salon VIP, un comptoir d’enregistrement exclusif, un programme de fidélité (Punto)…

Une telle stratégie a permis aux FSC de réduire leurs coûts et de s’aligner avec les nouvelles normes tarifaires des LCC. Ainsi le coût unitaire au SKO (Siège-Kilomètre Offert) de Transavia en 2014 s’élève à 5,11 centimes €, celui d’Easyjet et de Vueling se situent au niveau de 6 centimes € et Ryanair ne dépasse pas les 4 centimes €[11] .

Par ailleurs, l’appui des maisons mères permet aux filiales de croître rapidement, notamment en ce qui concerne la flotte : par exemple, Lufthansa a entamé en 2013 le transfert de 30 avions vers Germanwings[12] , et AFKL participe activement au développement de la flotte Transavia[13] .
 

Le maintien et la montée en gamme sur les activités d’alimentation des hubs

Les compagnies aériennes historiques gardent le contrôle du trafic moyen-courrier « hubfeeder » afin de garantir une continuité d’image et de service sur les trajets long courrier avec correspondance. Elles opèrent une montée en gamme sur les vols moyen-courriers desservant leurs hubs : Air France a ainsi injecté 50 millions d’euros dans la refonte de son service moyen-courrier en nom propre, dans le but de capter la clientèle business par le service[14]. La majorité des compagnies instaure aussi une classe “Premium Economy” ou équivalent pour combler le vide tarifaire existant entre les classes Economique et Business, et générer ainsi une marge globale plus importante.

Les compagnies aériennes historiques se scindent donc pour mieux répondre à la double demande du marché :
  • une activité « historique » perpétuant l’image de l’aviation luxueuse et orientée vers le long courrier associé au trafic depuis et vers les hubs, visant majoritairement la clientèle business sur le moyen-courrier et la clientèle long-courrier.
  • une activité « low-cost » basée sur le modèle économique des pure-players, avec une structure de coûts optimisée et orientée vers la clientèle loisir.
Néanmoins, la répartition des routes entre la maison mère et les filiales à bas coûts et régionale n’est pas toujours parfaite et le positionnement de chaque acteur reste flou. Certains trajets sont ainsi opérés par plusieurs filiales.

III- Vers l’apparition de modèles hybrides ?

Vers une convergence des modèles dans le moyen-courrier ?

Ces transformations augurent l’évolution de l’offre qui est à anticiper pour les prochaines années. Les différents modèles devraient en effet converger pour délivrer une proposition de valeur spécifique à chaque segment de client. Des catégories différenciées, telles que la clientèle en correspondance pour le réseau mondial, la clientèle se déplaçant pour ses loisirs ou encore celle professionnelle se déplaçant en Europe, traiteront alors avec une organisation adaptée; low-cost, régionale ou long-courrier.
Dans le cas du moyen-courrier, on assiste à l’émergence d’un nouveau modèle économique illustré par le rapprochement des offres pures-players et des filiales low-cost des FSC qui cherchent à proposer des offres à bas coûts restant attentives à l’expérience client.


Vers un développement du low-cost sur le long-courrier ?

Si le modèle low-cost a su s’imposer dans le moyen-courrier, son développement sur le marché long-courrier est plus incertain. En premier lieu, certains paramètres du modèle low-cost classique ont un impact moindre sur des longues distances comme la maximisation des rotations des appareils. Dans le passé, certains acteurs ont bien tenté de percer sur ce marché sans succès comme en 1977 avec la compagnie aérienne Laker Airways et son service Skytrain de vols à bas prix entre Londres et New-York.
Plus récemment, l’idée de développer une activité low-cost long courrier a été relancée en Asie avec la création d’AirAsiaX, filiale de la compagnie low-cost malaisienne Air Asia ou de Scoot filiale de Singapore Airlines ainsi qu’en Europe avec Norwegian et Lufthansa avec sa filiale Eurowings[15].

Les références citées

[1] World Air Transport Statistics, 58th Edition, IATA
[2] Association of European Airlines, 09/2014
[3] Rapports de prévisions Eurocontrol, période 2006-2014
[4] Rapport annuel 2014 Easyjet
[5] Revenus annexes : 18 milliards d’euros en 2011, Air Journal, 07/2012
[6] Ryanair s’ouvre la porte des agences de voyages avec Amadeus, Les Echos, 09/2014
[7] Lufthansa Transfers Most Short-Hul Flights To GermanWings, Aviation Week, 10/2012
[8] Lufthansa se réjouit de sa bonne année 2013, Le Figaro, 03,2014
[9] Résultats annuel 2014 – réunion d’information, AF-KLM
[10] Rapport annuel 2014, AF-KLM
[11] Air France – Réunion d’information résultats annuels 2014
[12] Lufthansa : retour de Germanwings pour contrer la concurrence, Tourmag, 07/2013
[13] Air France-KLM débourse 1,6 milliard de dollars pour la flotte de Transavia, Le Figaro, 02/2015
[14] Air France à la reconquête des voyageurs affaires moyen-courrier, Aerobuzz.fr, 03/2015
[15] Low-cost sur le long-courrier, la nouvelle donne du transport aérien ?, la Tribune, 05/2015
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