Expérience voyageur, mon œil !

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En quelques mois, la plupart des rencontres professionnelles autour du business travel ont évoqué l'expérience voyageur pour construire, développer et engager de nouvelles politiques voyage. Sur le fond, le sujet est louable. Sur la forme, les grandes promesses tiennent le temps d'un feu de paille. Le retour de la politique du meilleur prix est une tendance forte aux USA.

Dans ma dernière chronique, j'évoquais l'évolution des process liés à l'organisation des déplacements professionnels et la liberté très surveillée des voyageurs d'affaires. En quelques mois, on constate dans les entreprises américaines la volonté des acheteurs de revenir à une notion qui apparaît aujourd'hui dépassée en Europe : le Best Buy. Contrairement aux propos du président américain, les sociétés nord-américaines n'abordent pas sereinement les prochains mois. La hausse des prix du pétrole à l'international, la guerre commerciale avec la Chine, le Canada ou le Mexique sans oublier la sortie de l'Europe de la Grande-Bretagne sont autant de signaux mal interprétés par les patrons quelle que soit la taille de l'entreprise.

Qui dit inquiétude évoque tout naturellement la politique de repli d'économie qui est généralement imposée au salarié. La conséquence est immédiate, beaucoup repensent leur politique voyage non pas en fonction du seul coût du déplacement mais de son intérêt. On voit refleurir la vidéo et visioconférence. Le marché explose en 2018 avec, selon IDG des ventes une hausse de 13 %! Autre innovation attractive depuis le début de l'année, les logiciels prédictifs, souvent cités comme utiles à la préparation d'un voyage. Mais force est de remarquer qu'ils restent encore expérimentaux et que seule l'expérience du salarié et de sa direction sont susceptibles de juger du bien-fondé d'un déplacement.

Cette vision ne plait pas aux TMC américaines qui n'hésitent pas à se lancer dans de couteuses études pour démontrer la fin de l’économie à marche forcée. "L'époque où l'on réduisait sans réfléchir les coûts d'un programme de voyage est maintenant révolue ", a même déclaré Wendy White, vice-présidente du marketing de la marque Egencia. La bataille du coût est engagé. Qui gagnera de l'agence ou de l'entreprise ? Et avec quels outils ?

Comme nous sommes à une époque où il est de bon ton de mêler l'intelligence artificielle à tout et n'importe quoi, on voit également fleurir des start-ups qui proposent des logiciels "d'analyse situationnelle et commerciale" présentée comme étant capable d'établir, avant même qu'il soit réalisé, un ROI du voyage envisagé. Cinq à six startups, implantées sur la côte Ouest américaine - spécialisées dans la data - commencent à travailler sur des modèles expérimentaux et des algorithmes de connaissance autour du déplacement professionnel. Difficile de dire aujourd'hui la valeur de ce travail tant le bon sens est absent de ces réflexions. Et nous le savons tous, le bon sens est la première qualité de l'acheteur.

Bref, l'économie attendue doit se faire aux forceps. Le voyageur en subit directement les conséquences : à nouveau une refonte - parfois drastique - de la politique voyage. Dans un pays où le train est embryonnaire, c'est la classe éco pour le domestique, les motels et autres hébergements économiques. Le Best Buy, c'est la contrainte par le prix. La remarque formulée lors de la dernière convention de la GBTA en août dernier à San Diego n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. On voit désormais un grand nombre d'acheteurs réfléchir à la rigueur plus qu'à la qualité du voyage.

La conséquence immédiate que l'on imagine, bien évidemment, serait le refus de certains voyageurs de se déplacer dans des conditions globalement mauvaises. Qu'à cela ne tienne, une association d'acheteurs en Californie a fait un calcul simple : partir en éco un jour avant pour se reposer coûte moins cher qu'une business class. Facile, simpliste mais imparable.

La fameuse culture d'entreprise propre aux sociétés américaines fait une fois de plus des miracles. Sensibiliser et responsabiliser le salarié est une technique qui fonctionne bien mieux que la contrainte. Les entreprises le savent et l'utilisent désormais massivement pour repenser leur politique voyages et éduquer les voyageurs. Faire respecter la politique voyages est désormais l'objectif unique et prioritaire de bon nombre d'acheteurs spécialisés. Une vision qu'ils partagent avec les directions financières de leur entreprise. Mais qu'en pensent les voyageurs ? Finalement, pas grand-chose. S'adapter, c'est ce que l'on apprend en premier dans les universités américaines. Réfléchir et comprendre, c'est ce que l'entreprise cherche à inculquer à ses voyageurs.

Le nouveau pari des 12 prochains mois, surtout si l'économie n'est guère florissante, va donc se résumer en deux mots : best buy ! Et si cette vision arrivait lentement mais sûrement en Europe ? Même où cette fameuse expérience voyageur est présentée comme une qualité première du travel management ?

Déjà, j'ai cru comprendre qu'à l'occasion du dernier IFTM Top Résa, l'euphorie n'était pas de mise au sein des entreprises françaises. De là à imaginer que le Best Buy revienne sur le devant de la scène en Europe… il n'y a qu'un pas que bon nombre de Travel managers et d'acheteurs sont prêts à franchir. Des économies, c'est toujours bon à prendre

Philippe Lantris