Grandes batailles de polochons dans l’hôtellerie mondiale

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Commencée, il y a quelques mois, une gigantesque bataille d’oreiller fait rage dans l’univers de l’hôtellerie mondiale. D’un côté les amateurs de souplesse, de parfums variés, de noyaux de pêche, d’amande ou de cerise sans oublier les adeptes de la mémoire de forme, de la taille, de la géométrie même du produit, de la matière […]

Commencée, il y a quelques mois, une gigantesque bataille d'oreiller fait rage dans l'univers de l'hôtellerie mondiale. D'un côté les amateurs de souplesse, de parfums variés, de noyaux de pêche, d'amande ou de cerise sans oublier les adeptes de la mémoire de forme, de la taille, de la géométrie même du produit, de la matière ou de la couleur. De l'autre, des hôteliers qui font le pari qu'un simple oreiller pourrait éventuellement fidéliser leur clientèle. Vous l'aurez compris, depuis quelques mois, dormir dans un hôtel demande une longue formation à "l'oreillotologie". Faute de quoi, si j'en crois les arguments "marketing", après une nuit gâchée, les clients iront voir ailleurs.
L'expérience que je viens de mener dans un hôtel américain est révélatrice des services, parfois inutiles, que l'industrie hôtelière veut à tout prix imposer à ses clients. Je vous raconte, la scène se passe à Atlanta. Une fois passé l'enregistrement à la réception de mon hôtel, des plus classiques, me voilà devant une gouvernante qui fiche en main veut tout savoir sur mes habitudes. Quel type de savon je préfère, quel type de serviette j'affectionne, quelle marque de café je souhaite avoir dans ma chambre et pour finir, la plus complexe des questions, quel type d'oreiller je désire sur mon lit. Très franchement, depuis des années, je pose ma tête sur une sorte d'enveloppe où baignent quelques plumes de canard qui, au fil des ans, tiennent plus du parchemin que du papier de soie. Qu'importe, c'est mon doudou d'adulte, mon oreiller, mon odeur... Même ma femme n'ose pas y toucher. Elle aurait trop peur des représailles. Mais là, face au cerbère envoyé pour tout connaître de mes habitudes, je cale. J'ai bien compris, aux explications données, que la qualité même de ma journée du lendemain dépendait du choix de mon oreiller. Je m'explique. Si je fais le pari d'un oreiller parfumé, "à la limite du médical" me précise la brave femme, je vais retrouver une sérénité physique éblouissante. Un peu comme si Michel Galabru et ses béquilles se transformaient en Yannick Noah et ses plaquettes de chocolat. Cela laisse rêveur. Surtout moi avec mon léger embonpoint. Ce que je trouve drôle ne fait pas sourire ma gouvernante. Autant de désinvolture la laisse sans voix. Que je puisse m'abandonner à des plaisanteries vaseuses sur un sujet aussi important la conforte dans l'idée que les Français sont tous des rigolos. Elle aurait eu vingt ans de moins, je ne dis pas. Mais là, franchement, après 12 heures de vol, son assistance me fatigue d'autant, me précise-t-elle, à l'américaine, qu'elle ne saurait être responsable d'une mauvaise nuit si j'avais fait un mauvais choix. En clair, la prochaine fois, je viendrai avec mon propre oreiller dans ma valise. Je gagnerai dix minutes à la réception et 25 minutes de palabres avec cette spécialiste des nuits réussies. Mais le pire, c'est que de retour à Paris, je retrouve dans les dossiers de presses qui me sont adressés, une information intéressante : B&B vient de renouveler son parc d'oreiller et m'en fait parvenir deux pour que je puisse les tester au bureau. Le cauchemar recommence, à croire que ma gouvernante américaine m'a dénoncé. Quoi qu'il en soit, en refusant de jouer le jeu, je ne sens pas coupable d'un crime de lèse oreiller. Autant vous le dire, je dors sur mes deux oreilles.

Marc Dandreau.