Grève Air France: une plaisanterie à plus de 150 millions d’euros!

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Pour ouvrir ce « moderato », il me faut faire un mea culpa et marquer mon étonnement. Mea Culpa car quelques jours avant la grève, nous étions persuadés qu’elle ne durerait pas ou qu’elle n’aurait pas lieu. Et pour cause, nous évoquions alors le fait qu’il suffisait de se mettre autour d’une table pour repenser la création de Transavia et gommer la colère des pilotes. Pour nous, en cinq minutes, cela pouvait être fait. Il n’en fut rien.

Notre étonnement se poursuit aujourd'hui avec cette offre surprenante de la compagnie de repousser à la fin de l’année le projet de création de la filiale low-cost européenne du groupe. Les pilotes ont refusé. On les comprend car repousser ne veut jamais dire régler. La politique de l’autruche n’a jamais débouché sur des projets parfaitement structurés et acceptés par tous alors qu’au départ ils étaient rejetés. Mais pourquoi diable Monsieur de Juniac s’est-il lancé dans cette proposition? Sans doute parce que le gouvernement l’a un peu aidé en insistant sur le besoin impératif de retrouver la paix sociale à Air France. En cette période où chaque jour apporte son lot de crise politique, cette grève au sein d’une compagnie compagnie aérienne où l’État est actionnaire commence à grattouiller du côté de l’Élysée.

Mais au-delà, on n’en revient à la question que nous posons déjà depuis des mois et des mois : quelle stratégie Monsieur de Juniac veut-il mettre en œuvre pour Air France ? C’est toute la lisibilité de son action qui est aujourd’hui remise en cause par cette proposition incongrue de repousser à des calendes assez proches un projet intéressant et logique mais mal ficelé. Il n’est pas pour autant question de revenir sur cette vision grotesque, proposées par d’autres compagnies aériennes françaises, d’oublier toute revendication en raison du nombre de pilotes chômeurs disponibles sur le marché. Une autre démarche paternaliste et démagogique à peine mieux que celle proposée il y a quelques heures par Alexandre de Juniac.

Que va pouvoir faire maintenant le président d’Air France ? Premier constat, pour les pilotes ce recul est une victoire. Une première victoire. Ils en veulent d’autres. On les comprend. Leur compagnie cède sans réflexion aux sirènes de la reprise du travail. Bien sûr, et je me mets dans ce camp, chacun d’entre nous se veut à sa façon Président d’Air France. Un peu comme ces spécialistes du football qui se sentent des âmes de sélectionneur à la veille d’une Coupe du monde.

L’acceptation du changement, qui réussit pourtant si bien dans d’autres pays européens, n’est pas une qualité française. Certes, mais une fois que l’on a tiré cette observation que peut-on faire ? Sans doute y a t-il des exemples à chercher dans la façon dont Lufthansa a su gérer sa reprise en main de Germanwings qui va devenir Wings pour intégrer tout le court et moyen courrier à terme. Pas de mouvement de pilotes dans cette affaire, les derniers accrochages ont lieu sur l'âge du départ à la retraite, pas sur le développement du low cost. Un pragmatisme allemand qui nous manque ??

Seule certitude, Air France va replonger dans le rouge cette année et je ne serais pas surpris qu’une alerte aux résultats soit publiée ces prochains jours. Comme dans toute équipe de football qui n’obtient pas de résultat, on peut se poser la question de l’avenir de son capitaine. Le mouvement de grève tourne plus que jamais au casse-tête politico-économique sans que personne, y compris les pilotes, ne sache très précisément comment faire pour en sortir. Enfin, et le marché du coporate travel le confirme, on peut se déplacer sans Air France. Si certains passagers ont été bloqués pour des liaisons retour, si les files d'attente s'allongent aux guichets des agences, cela pourrait ne pas durer. Et EasyJet, Emirates, Lufthansa et tant d’autres se frottent les mains. Leurs avions n’ont jamais été aussi pleins.

Marcel Lévy