Jusqu’où va descendre Etihad Airways ?

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Il est loin le temps où la compagnie d’Abu Dhabi se permettait de passer la plus grosse commande d’avions jamais enregistrée jusqu’alors. C’était en 2008 au salon de Farnborough avec l’annonce de l’achat ferme de 110 appareils et d’une prise d’options sur 95 autres. C’était l’époque flamboyante où tout semblait réussir à la dernière compagnie du Golfe. Certains la voyaient déjà capable de tailler des croupières à sa voisine Emirates. Mais il semble bien que les dirigeants ont eu alors les yeux plus grands que le ventre.

On voit bien ce qui a pu conduire Etihad Airways à devenir aussi grosse que le transporteur de Dubaï. Mais celui-ci avait été créé très longtemps avant la compagnie d’Abu Dhabi : 1987 pour Emirates contre 2003 pour Etihad Airways. Finalement ces 16 années d’écart se sont avérées impossibles à rattraper. Le mieux qu’elle ait pu faire a été de transporter un nombre de passagers équivalent à 25% d’Emirates. Cette situation n’était pas acceptable, d’autant plus que l’écart continuait à se creuser entre les deux transporteurs rivaux. Le problème était que la capitale des Emirats Arabes Unis est Abu Dhabi et que l’Emirat de Dubaï n’est que l’une des composantes du pays. C’est un peu comme si le transporteur majeur et de très loin en France était basé à Lyon alors que la capitale Paris ne serait dotée que d’une compagnie beaucoup plus modeste.

Alors il fallait grossir par la porte ou la fenêtre. La stratégie choisie était sans doute la seule capable d’amener le volume du bilan du groupe Etihad au niveau de celui d’Emirates. Elle a constitué à prendre des participations massives et précipitées de manière à créer un ensemble puissant. Pour ce faire Etihad Airways, parfaitement épaulée par son gouvernement, s’est portée acquéreur de tout ce qui était disponible. Or les compagnies cibles étaient toutes en grande difficulté, c’est d’ailleurs pour cela qu’elles ont accueilli avec joie les prises de participation. Seulement ce n’est pas pour cela que les transporteurs en question : Air Berlin, Air Serbia, Air Seychelles, Alitalia, Darwin Airlines, Jet Airways et Virgin Australia sont devenues rentables à la notable exception de la compagnie australienne. Ce qui pouvait passer pour un investissement intelligent s’est vite transformé en gouffre financier, car les compagnies rachetées comptaient sur leur actionnaire pour assurer les fins de mois. Sur ces entrefaites, le cours du pétrole s’est effondré passant de près de 100 dollars le baril à moins de 50 dollars. Seulement le pétrole constitue justement la principale ressource d’Abu Dhabi. Ainsi la conjoncture s’est brutalement retournée pour Etihad Airways. Il a fallu changer drastiquement de stratégie.

James Hogan, le CEO d’alors, celui qui avait été choisi pour mener la conquête des transporteurs et créer un grand groupe aérien, a quitté la compagnie en juillet 2017. Et il a fallu se séparer des participations qui consommaient trop de cash tous les mois. Cela s’est fait dans la douleur. Il ne pouvait pas en être autrement. Air Berlin a été revendu par morceaux et à grande perte à Lufthansa et EasyJet, Darwin Airlines rebaptisée Etihad Regional a été cédée en 2017 et Alitalia a été placée sous administration judiciaire. Or voilà maintenant que l’un des fleurons, Jet Airways, est proche de la faillite.

Le nouveau responsable, Tony Douglas, qui a une longue carrière dans les aéroports - il a été patron d’Heathrow, dans l’ingénierie et a dirigé l’ « Abu Dhabi Defence Equipment & Support » - doit redresser la barre. Mais ce n’est pas si facile car l’affaire est encore très grosse avec plus de 20 000 salariés. Il y a cependant urgence. Au cours des 3 derniers exercices, Etihad Airways a affiché des pertes équivalentes à 24% de son chiffre d’affaires, lequel est en baisse constante : 9 milliards de dollars en 2015; 8,4 milliards de dollars en 2016; 6,1 milliards en 2017 et 5,9 milliards en 2018. Autrement dit la compagnie s’enfonce dans ce qui semble être une spirale sans fin. En fait, on ne sait pas comment et à combien ont été valorisées les participations dont elle est obligée de se défaire.
Certes Etihad Airways est encore un transporteur respectable avec plus de 100 appareils dont un grand nombre de long-courriers, y compris 10 A380. Mais elle a dû renoncer à son plan d’investissements. Elle vient ainsi d’annuler 42 A350-900, 2 A350-1000 et 19 B777-X. Autrement dit elle a renoncé à sa volonté de conquête.

L’avenir sera certainement compliqué. Qatar Airways, qui ne publie pas ses comptes, profite du support de son gouvernement, même si la situation diplomatique du Qatar reste compliquée et Gulf Air renoue avec l’expansion. Il n’y a pas la place pour 6 transporteurs dans le golfe, or ils sont bien là : Emirates, Qatar Airways, Etihad Airways, Gulf Air, Kuwait Airways et Oman Air, auxquels il faut rajouter Royal Jordanian.

Tony Douglas et ses actionnaires devront faire preuve de grande intelligence pour se tirer d’affaire.


Jean-Louis Baroux