L’étrange jeu de IAG

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Est-il opportun pour IAG de placer une intention de commande auprès de Boeing pour un appareil, le 737, qui rencontre les pires problèmes de son existence et pour lequel les clients des compagnies expriment des réserves ?

Décidément on n’est jamais à l’abri d’une grosse surprise. La dernière en date dans le transport aérien vient de nos amis britanniques. Pendant le mythique Salon du Bourget, dont il faut bien rappeler que c’est et de loin le plus important du monde, le groupe IAG a annoncé, dès le 2ème jour du Salon, l’envoi d’une lettre d’intention d’achat de 200 Boeing 737 Max. En soi l’information n’aurait pu être que seulement importante, après tout le groupe constitué de British Airways, Aer Lingus, Iberia, Vueling et Level aura certainement besoin de renouveler sa flotte. Sauf que la lettre d’intention ne porte pas sur n’importe quel avion, mais bien sur celui qui met le constructeur américain en grande difficulté.

A ce stade, et faute de précisions, il est difficile de tirer de grandes conclusions. Mais nous pouvons tout même nous permettre quelques remarques. D’abord il ne s’agit que d’une lettre d’intention et non pas une commande ferme. D’ailleurs une commande serait très difficile à passer pour un avion qui a perdu son certificat de navigabilité. Celui-ci lui sera rendu par la FAA (Federal Aviation Authority), l’autorité régulatrice américaine, lorsque cette dernière aura la certitude que les défauts de l’appareil auront été corrigés. Seulement elle va prendre les plus grandes précautions au vu du processus un peu désastreux qui a présidé à la certification d’origine. Après tout, Boeing peut s’exonérer de ses responsabilités en se retranchant derrière le papier officiel délivré par l’autorité fédérale. En dernier ressort, c’est elle qui porte la responsabilité finale. Raison de plus pour que les fonctionnaires américains prennent cette fois-ci toutes les précautions, même les plus tatillonnes. Cela retardera d’autant la mise de l’appareil sur le marché. Et puis ce ne sera pas terminé pour le
marché européen. En effet, alors que l’EASA (European Union Aviation Safety Agency) certifiait automatiquement un appareil déjà validé par la FAA, il n’en sera pas de même cette fois-ci. Et la mise en opération en Europe en sera d’autant retardée.

Mais il est néanmoins possible que Willie Walsh le patron d’IAG ait fait finalement un bon coup sans
risque. Si la certification traîne trop, il pourra toujours reprendre sa lettre d’intention et si elle suit un
processus normal, il pourra bénéficier d’appareils adaptés à ses besoins dans d’exceptionnelles
conditions économiques car on ne voit pas comment il pourrait en être autrement au vu de la
séquence de l’annonce.

Reste que l’on peut s’interroger aussi sur la rationalité de l’économie européenne. Il se trouve que le
concurrent de Boeing, j’ai nommé Airbus, bien entendu, dispose de 2 usines en Grande Bretagne.
Celle de Filton fait la conception de la structure des ailes et des mats de liaison des moteurs, met au
point et contrôle les systèmes de fuel et l’intégration du train d’atterrissage. L’autre, celle de
Broughton fait l’assemblage de toutes les ailes d’avion Airbus sauf celles du A400M, le gros transport
militaire et des A320 fabriqués en Chine. Autrement dit une forte part de la valeur ajoutée d’Airbus
provient du Royaume Uni, or le transporteur de référence se fournit chez son concurrent. Tout cela
est tout de même un peu étrange.

Au fond on peut aussi se poser la question du devenir de ces fabrications si par une malchance qui
semble bien se profiler, un Brexit dur devait être mis en place à partir du 31 octobre. Imaginons que
la libre circulation des marchandises soit jetée aux oubliettes, après tout cela est très possible.
Comment alors Airbus pourra assurer sa chaîne de fabrication ? Il n’est certainement pas question de
remplacer au pied levé les productions britanniques. Voilà un casse-tête dont le constructeur
européen se serait bien passé. Faut-il de plus rappeler qu’Airbus Operations Ltd détient 20% d’Airbus
SAS, à la suite de la cession des activités de British Aerospace à Airbus.

L’annonce d’IAG montre à l’évidence qu’en Europe, il n’existe aucune solidarité et que même si des
entreprises multinationales, qui donnent du travail à beaucoup de pays ont pu être construites et
validées par les gouvernements, ces derniers sont impuissants à dicter leur volonté aux décideurs
économiques.

Le temps des égoïsmes est arrivé. Il ne faudra pas se plaindre si les compagnies européennes devront
affronter non seulement les difficultés externes à notre continent, mais d’abord faire face aux prés
carrés créés par les Etats.

Jean-Louis BAROUX