L’insoutenable immobilité des acheteurs ou des travel managers

10

Il est étonnant de voir à quel point, le plus souvent, celles et ceux en charge d'acheter des voyages dans leur entreprise sont finalement les moins mobiles de toute leur société. Peu d'entre eux peuvent aller sur le terrain pour tester une compagnie aérienne, un hôtel ou un loueur de voitures. Et pourtant, qu'y a-t-il de plus essentiel que la perception du produit, son analyse et le constat sur place de ce qui est adapté ou non à ses propres voyageurs ? Beaucoup d'acheteurs ou de Travel managers le regrettent et ne comprennent pas forcément ces politiques d'entreprises qui les empêchent d'accepter des invitations de leurs fournisseurs, le temps d'un voyage ou d'une rencontre avec un hôtelier.

Cette absence évidente de visibilité, généralement considérée comme "déontologique", est sans doute ce qu'il y a de pire dans un univers professionnel où la communication avec le voyageur doit se faire d'égal à égal. Bien évidemment, tous les professionnels du voyage d'affaires ne sont pas forcément cloués à leur bureau. Mais rares sont ceux qui peuvent ainsi, de temps en temps au moins, aller comparer une compagnie aérienne ou un hôtel afin de l'intégrer dans la liste parfois longue des établissements qu'ils proposent. On peut comprendre le volonté d'empêcher la prévarication, mais voir, comprendre et analyser sont des éléments essentiels à la perception du voyage et indispensables à sa mise en place. Remplir un SBT est à la portée du premier venu. Le rendre efficace en fonction des attentes de ses propres voyageurs est un must, apprécié par toutes celles et ceux qui partent en déplacements professionnels. Mais ne nous leurrons pas, la faute ne vient pas des acheteurs ou des Travel managers. Bien au contraire. Ils sont tous aujourd'hui persuadés du bien-fondé du terrain. Non, la peur vient des entreprises persuadées que la relation fournisseur-acheteurs est faite exclusivement de compromissions, de petits cadeaux voire de pots-de-vin. Une vision passéiste du début du siècle dernier, à l'époque où l'on achetait la sympathie commerciale à grands coups de cartons de vins ou de foie gras à Noël. Même aux États-Unis, champion de la moralité d'entreprise, on voit apparaître dans les très grosses sociétés des groupes d'analyses dont la mission est d'aller sur le terrain valider et vérifier la qualité des informations qui sont apportées par les fournisseurs. Il ne s'agit pas là d'une quelconque dérive commerciale mais bel et bien d'un test grandeur nature. Personne n'accuserait aujourd'hui certains critiques gastronomiques de grandes complaisances systématiques. Il suffit de lire l'excellent Perico Legasse dans Marianne pour se rendre compte de l'objectivité de ses commentaires. Mais oui, tous ne possèdent pas cette distance et cette honnêteté face à la tentation. Et c'est sans doute pour cela que les entreprises rejettent aujourd'hui cette volonté de leurs acheteurs d'aller voir sur place. Pour quelques excès, voire quelques abus, c'est toute une profession qui est cantonnée au rôle de voyageur immobile. Inconcevable.

Marc Dandreau