L’usine à gaz des compagnies aériennes

79

Le transport aérien doit être quelque chose de particulièrement simple car les compagnies aériennes s’acharnent à le compliquer. Au départ, le concept de mondialisation qui a toujours gouverné cette industrie, se traduisait par des accords « interline » entre les transporteurs, les uns acceptant les billets émis par les autres et réciproquement. Cela constituait une véritable révolution et elle date de … 1945 lors de la fondation de IATA. C’est d’ailleurs le seul secteur d’activité construit sur ce modèle et c’est ce qui a fait sa richesse.

L’usine à gaz des compagnies aériennes
On aurait pu en rester là, c’est d’ailleurs ce qui s’est produit jusqu’en 1978, date de la première libéralisation du transport aérien aux Etats Unis. A partir de ce moment, les compagnies sont entrées en concurrence les unes avec les autres mais elles n’étaient pas habituées à cela. Alors elles ont cherché des palliatifs. C’est alors qu’a été inventé le fameux « code share » qui consiste à mettre la marque de sa compagnie sur un autre transporteur. Première confusion vis-à-vis des clients qui ne savent plus ce qu’ils achètent.

Et puis est venu le temps des alliances. Après de nombreux avatars, on est finalement arrivé à trois grandes alliances qui se partagent l’essentiel du marché. Oui, mais à l’intérieur même de ces alliances, les luttes sont farouches et les croche-pattes fréquents pour conquérir les clients des compagnies amies.

Alors, comme cela ne suffisait pas, on a créé des rapprochements de compagnies plus ou moins intégrés. Ainsi Air France et KLM ont créé une société holding commune, d’ailleurs totalement dominée par Air France, pour harmoniser les exploitations et par conséquent, les comptes. D’autres, comme Lufthansa, ont tout simplement racheté d’autres transporteurs en difficulté avant de s’apercevoir que ce n’était pas si simple de transformer des pertes en profits. British Airways fait avec Iberia une opération très similaire à celle réalisée entre Air France et KLM tout comme d’ailleurs Lan Chile et TAM. Bref, le cadre de la simple alliance ne suffisant pas, les compagnies ont créé des ensembles plus ou moins bien assortis et qui se veulent homogènes, sauf que chaque transporteur tient à garder sa marque et son autonomie et que les synergies du départ ne tardent pas à se transformer en charges de gestion lourdes à supporter. Ces difficultés n’empêchent pas d’ailleurs les compagnies de créer entre elles et dans des périmètres différents ce qu’elles appellent des « joint-venture », autrement dit la mise en commun des exploitations sur certains axes en partageant les coûts et les recettes et en suivant, tout au moins sur le papier, les mêmes politiques commerciales.

Eh bien, comme si cela ne suffisait pas, voilà que l’on apprend la création d’un nouveau concept : la co-entreprise. C’est très fort. Si j’ai bien compris, il s’agit de créer un nouvel ensemble économique en mettant en commun des opérations très disparates, mais qui, mises bout à bout, permettraient de contrôler un marché important. C’est ce qui vient d’être annoncé par la presse entre Air France/KLM d’un côté et Etihad d’un autre côté, cette dernière amenant dans la corbeille le pseudo contrôle qu’elle détient sur Air Berlin, Air France pouvant à terme apporter rien moins qu’Alitalia.

Je me demande parfois où va s’arrêter le rêve de contrôle des marchés. En effet, pour l’opération décrite plus haut, il n’est pas inutile de rappeler qu’ Ethiad ne détient que 25 % d’Air Berlin, tout comme d’ailleurs Air France par rapport à Alitalia.

Faire fonctionner correctement une simple compagnie aérienne n’est déjà pas chose facile. Le transport aérien est une industrie très complexe qui fait intervenir d’innombrables corps de métier qui doivent tous être parfaitement coordonnés pour faire partir et arriver les avions à l’heure. Entrer dans une alliance et faire fonctionner cette dernière est encore plus délicat et commence à être très coûteux. Rajouter une couche de « joint-venture » par-dessus ne conduit pas à plus de simplicité. Alors créer et faire marcher une co-entreprise de façon rentable, cela tient du rêve.

Je me demande sincèrement si les dirigeants de ces grandes compagnies n’ont pas autre chose à faire plutôt que de vouloir encore et toujours gagner des parts de marché sur le voisin alors qu’ils doivent d’abord gérer leur entreprise. D’autant plus qu’un gain de part de marché dans un secteur a pour conséquence la perte d’une part de marché équivalent dans un autre secteur.

Le transport aérien devrait arrêter de rêver pour se concentrer sur l’essentiel : gagner de l’argent. Et ce n’est déjà pas si simple.

Jean-Louis Baroux