La consolidation européenne est-elle achevée?

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C’est la grande question stratégique que se posent les grands groupes européens, j’ai nommé Lufthansa, le groupe IAG et naturellement Air France/KLM. A vrai dire les uns et les autres pensent qu’elle n’est pas terminée. Et une cible attire les regards : SAS.

La compagnie scandinave SAS est dans une situation qui rappelle celle de Northwest Airlines, laquelle a été absorbée récemment par Delta Airlines. L’un et l’autre grands transporteurs américains perdaient de l’argent mais maintenant, Delta Airlines - après absorption, le 30 janvier 2010 de son concurrent Northwest Airlines - est devenue une vraie machine à fric, certes après une restructuration violente. L’aventure fait forcément rêver. Et chacun des grands groupes européens se met à penser à l’intégration de SAS dans son périmètre. C’est que la fiancée potentielle est belle.

Bien qu’ayant traversé des années sombres avec des pertes récurrentes, SAS a néanmoins toujours maintenu une grande qualité de service, une image de grande fiabilité et surtout un réseau parfaitement complémentaire à chacun des groupes européens. De surcroit, le marché scandinave est particulièrement intéressant : yield élevé et grande constance dans le développement. Voilà donc de quoi attirer les envies.

Mais l’affaire est-elle aussi simple ? Et d’abord, SAS souhaite-t-elle passer sous la coupe d’un autre transporteur ?

Il ne faut pas oublier la volonté d’indépendance farouche des pays nordiques. Il est d’ailleurs à noter qu’aucun d’entre les pays actionnaires de SAS (la Suède, la Norvège et le Danemark) ne sont entrés dans l’Euro et bien qu’ils fassent partie de l’espace Schengen, tous ne sont pas membres de la Communauté européenne, par exemple la Norvège. Or la compagnie SAS a certes 50% de son actionnariat en bourse, mais le reste appartient aux Etats précédemment cités. Et puis le transporteur scandinave semble être sorti de ses résultats économiques difficiles et a renoué avec le profit. Il n’y a donc pas vraiment d’urgence.

Et dans le cas où les grandes manœuvres seraient enclenchées, qui aurait le plus de chances de l’emporter? Pour le moment, SAS est membre et même l'un des fondateurs de la Star Alliance. Il y aurait donc une prime assez logique au groupe Lufthansa. Sauf que l’on a pu voir récemment Continental Airlines, membre important de Skyteam, passer sous la coupe de United Airlines, membre également de Star Alliance, sans que cela n'entraine de forts bouleversements. Cela montre d’ailleurs la faible emprise des Alliances dont il faudra bien un jour que l’on discute l’utilité. Mais pour le moment, Lufthansa a d’autres chats à fouetter. Entrée de plein pied et je dirais, à l’Allemande, dans la restructuration de ses coûts, elle doit faire face à une fronde sociale sans précédent dans son histoire. Cela va certainement la fragiliser.

Restent IAG et Air France/KLM. Il semble qu’IAG soit en passe de réussir son pari de mise à niveau d’Iberia, bien que cela ne soit pas encore totalement gagné. Avant de faire un pas supplémentaire, il est probable que Willie Walsh attendra d’avoir terminé la restructuration espagnole. Alors, il reste Air France/KLM. Pour le moment, le groupe n’est engagé dans aucune stratégie d’achat après l’abandon des possibilités qu’il détenait sur Alitalia. Il pourrait donc intégrer SAS dans un système de sociétés à la fois intégrées et néanmoins indépendantes tel qu’il a pu réussir avec KLM. Seulement la compagnie principale, Air France, qui rappelons-le dirige la holding du groupe, est toujours en train de se débattre pour retrouver une rentabilité qui la fuit depuis bientôt 5 ans. Il est douteux qu’ayant dû abandonner ses prétentions sur Alitalia, le groupe soit pour le moment intéressé à SAS.

Alors la compagnie scandinave va-t-elle continuer son chemin toute seule ? Pourquoi pas au fond, car il n’est toujours pas prouvé qu’être plus gros que son concurrent donnait un avantage quant à sa rentabilité. Reste que les compagnies du Golfe sont sans doute à l’affut elles aussi. Certes Etihad semble plus intéressée par l’Europe centrale et occidentale que par l’Europe du Nord, mais Qatar Airways va peut-être vouloir entrer dans le jeu, car on la voit mal laisser ses deux grands concurrents agir seuls en Europe.

Et si, au lieu que les états-majors des grands groupes pensent à ces grandes manœuvres stratégiques, ils s’occupaient uniquement de leurs clients ?

Jean-Louis BAROUX