La course suicidaire aux bas tarifs aériens

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La compagnie chypriote Cobalt Air a cessé ses opérations la semaine dernière. Une semaine auparavant, c’était le tour de la scandinave Primera Air. Dans les deux cas de figure, les clients qui disposent de titres de transport non remboursables, non transférables et non cessibles, n’ont plus qu’à racheter un billet s’ils veulent voyager, ou simplement retourner chez eux.

Le phénomène n’est pas nouveau. On dénombre actuellement 176 transporteurs « low costs », dont la grande majorité sont établis en Asie/Pacifique : 69 et en Europe : 59. Est-ce à dire qu’ils sont tous fragiles certainement pas. Les gros opérateurs que sont en particulier Ryanair, EasyJet ou Vueling sont très prospères. Mais tous ne sont pas dans cette situation. 116 compagnies « low cost » ont déposé leur bilan au cours des 10 dernières années. Bref, opérer une compagnie aérienne, c’est très compliqué et se faire une place sur le marché, très difficile.

En fait, les nouveaux transporteurs, souvent non adossés à un grand groupe, n’ont d’autre ressource que de remplir leurs appareils au plus vite et souvent à n’importe que prix. Le système est d’ailleurs pernicieux car tous les « low costs » se distribuent essentiellement par internet, et ils encaissent l’argent des clients le plus tôt possible avec une politique tarifaire très incitative : plus on achète tôt et moins on paie. Ainsi ils se font rapidement une bonne trésorerie. Seulement lorsque les grandes échéances arrivent : règlement des prêts bancaires ou des leasings pour l’acquisition des appareils, paiement du carburant, des fournisseurs de services et bien entendu des salariés, la trésorerie accumulée ne suit pas et l’inéluctable arrive.

Il est d’ailleurs curieux de constater que la plupart des liquidations se produisent moins de 5 ans après la création des compagnies. La mortalité infantile est considérable.

Bon, après tout chaque entrepreneur prend ses risques et le choix de la stratégie tarifaire tout comme la construction de l’exploitation avec la sélection des lignes et le nombre de fréquences est uniquement l’affaire des dirigeants, surtout en Europe où les droits de trafic sont libres.

Seulement les grandes victimes sont les clients. Ces derniers, attirés par les propositions alléchantes des comparateurs de prix, choisissent souvent leurs transporteurs uniquement sur le seul critère tarifaire. Il faut d’ailleurs reconnaître qu’il leur est impossible de connaître leur fiabilité financière car celle-ci n’est tout simplement pas contrôlée. Ce n’est heureusement pas le cas de la qualité d’exploitation et de la sécurité des vols qui font l’objet d’une surveillance pointilleuse de la part des aviations civiles chargées d’appliquer les règles édictées par l’OACI. Et c’est bien heureux.

On peut d’ailleurs se demander pourquoi il n’existe pas de règles internationales communes destinées à examiner la solidité financière des transporteurs. Elles protégeraient les passagers contre les pratiques tarifaires suicidaires. Toutes les explications du monde ne justifieront pas la validité des prix dits »d’appel », pratiqués par les compagnies désireuses d’acquérir des parts de marché. On a vu sur le marché français, pour ne pas aller plus loin, des vols Paris New-York affichés à 99 € aller simple. Je veux bien que se rajoutent tout un tas de frais destinées à compléter la recette, mais cela met dans la tête des consommateurs des références qui n’ont aucun rapport avec les coûts réels. Ce faisant, comme les tarifs les plus bas apparaissent en tête de liste dans les comparateurs de prix, ces derniers deviennent la norme alors qu’ils ne permettent pas la survie des opérateurs.

Il est grand temps de sortir de cette spirale qui ne sert personne, ni les compagnies, ni les clients, ni le transport aérien en général. Chaque service a un prix et la vente à perte est condamnée par les tribunaux. Au fond, il est plus que nécessaire d’éduquer les consommateurs à la complexité du transport aérien. Les agents de voyages devraient être les premiers à mettre en garde leurs clients contre certaines pratiques pour le moins bizarres. Et les autorités qui gèrent le transport aérien, je veux parler de IATA devraient écarter ou pour le moins signaler les compagnies « à risque économique ». Cette institution a largement les moyens de contrôle et d’analyse pour fournir une liste noire.

Tout service a un prix. Les tarifs prédateurs sont à bannir. Les compagnies viennent de passer une période faste avec la baisse du prix du carburant. Elles ont pu se laisser entrainer dans la spirales des prix cassés ne serait-ce que pour défendre leur marché. Il vaudrait mieux que ce petit jeu s’arrête.

Jean-Louis BAROUX