La fin de la période dorée

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Les trois dernières années ont marqué une période de grande prospérité pour le transport aérien, même si certaines compagnies ont été liquidées car décidément trop malades.

Par un miracle que personne n’avait vu venir, le cours du pétrole s’est effondré passant de près de 100 dollars le baril à moins de 50 dollars. Cette manne a surpris tout de monde et d’abord les compagnies aériennes qui en ont été les premières bénéficiaires. Divine surprise qui s’est traduite par de colossales économies pour tous les transporteurs et particulièrement pour les plus grands. Pour le groupe Air France/KLM, par exemple les charges de carburant sont passées de 6.183 millions d’€ en 2015 à 4.597 millions d’€ en 2016, ce qui représente tout de même une économie de 1.586 millions d’€ sur une seule année, soit 4,34 millions par jour.

Voilà qui était particulièrement bienvenu et qui a mécaniquement amené tous les grands groupes à redresser ou sérieusement améliorer leurs comptes. L’affaire était d’ailleurs d’autant plus intéressante que la demande de transport s’est maintenue et à même progressé à 6% en moyenne pendant la période. Et cerise sur le gâteau, l’effondrement des prix du pétrole a sorti du grand jeu international une compagnie jusqu’alors très agressive, je veux nommer Etihad Airways. Les actionnaires, privés des revenus pétroliers ont obligé le transporteur d’Abu Dhabi à se séparer des parts de capital qu’il détenait dans nombre de compagnies européennes en particulier.

Bref cette période faste a permis au transport aérien d’engranger des profits supérieurs à 40 milliards de dollars ce qui grosso modo correspond à 5% du chiffre d’affaires, montant suffisant pour rémunérer le capital. Certains grands transporteurs ont d’ailleurs franchi le cap de 10% de profits nets. Cela a été le cas de Delta Air Lines, Southwest ou Japan Airlines, sans compter les 19,8% historiques de Ryanair ou les 27,91% d’Air Asia.

Seulement le pétrole est singulièrement reparti à la hausse passant allègrement la barre des 70 dollars le baril et les compagnies se prennent de plein fouet cette augmentation de leurs charges dont le volume représente aux alentours de 25% des coûts d’un transporteur régulier. Toutes se plaignent amèrement de la diminution de leurs profits, et ce n’est pas fini.

En effet, au lieu d’utiliser les ressources exceptionnelles dues à une conjoncture très favorable pour se réformer en profondeur, les transporteurs se sont livrés à une guerre tarifaire farouche. Ils ont pratiquement tous essayé de privilégier le volume de trafic à la préservation de la recette nette. Ce faisant ils ont envoyé aux marchés un message dont ils n’ont pas fini de payer le prix : le transport aérien coûte de moins en moins cher. On a vu, pendant toute cette période d’innombrables publicités vantant les prix d’appel que tous les transporteurs traditionnels ont dans leur gamme tarifaire qui n’a de sens que pour faire vivre les « yields managers ». C’est ainsi qu’on a vu des tarifs transatlantiques à moins de 100 € l’aller simple. Alors maintenant il va bien falloir expliquer au marché que des tarifs ne correspondent à aucune réalité économique.

Seulement l’exercice va s’avérer singulièrement difficile. Les clients se sont habitués à une baisse constante des prix du transport aérien et ceci est de la seule responsabilité des compagnies aériennes. Leur guerre tarifaire est suicidaire. Alors le risque est qu’il ne reste finalement plus que quelques acteurs qui s’ils deviennent très peu nombreux, pourront à loisir augmenter les prix, plus que de raison.

L’année 2018 sera beaucoup moins faste que les précédentes et il est à craindre que les années à venir ne soient pas plus favorables, même si les nouveaux appareils qui arrivent sur le marché sont beaucoup plus performants que leurs prédécesseurs, et beaucoup moins coûteux à exploiter. Seulement ils sont beaucoup plus chers à l’achat. Alors que dans un passé récent, un avion coûtait aux alentours de 500.000 € le siège, les nouveaux appareils sont beaucoup plus près de 800.000 €. Différence considérable qui va tout de même alourdir les charges fixes, alors que les charges variables vont avoir tendance à se stabiliser si ce n’est à diminuer.

Sir Tim Clark, l’emblématique CEO d’Emirates, lors du dernier APG World Connect, a clairement prédit une nécessaire augmentation des tarifs aériens. Voilà qui est sage. Il ne restera plus, si les compagnies veulent garder leur récente prospérité, qu’à informer les clients futurs de cette inéluctable tendance. Et le plus tôt sera le mieux.


Jean-Louis BAROUX