Le Brexit et après ?

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Bon, nous avons un sursis. Le Brexit ne s’est pas passé fin mars, comme annoncé. Il est maintenant prévu pour le mois d’octobre. Mais plus la date recule et plus les conditions de sortie de la Grande Bretagne de l’Europe semblent se durcir. On s’achemine maintenant vers un Brexit sans accord et cela ne sera pas sans conséquences.

D’abord pour le transport aérien. Je me suis penché sur les dessertes de trois opérateurs : Ryanair, EasyJet et Jet2.com. Outre le fait que ce sont des opérateurs majeurs pour desservir les liaisons de province à province, ce sont aussi de très gros fournisseurs de vols vers la Grande Bretagne.

Ryanair par exemple dessert 31 escales en France dont certaines de façon massive, comme Marseille, Bordeaux ou Nantes. Et au départ de ces villes la compagnie irlandaise opère 46 lignes régulières vers le Royaume Uni. La situation est similaire pour EasyJet. Le transporteur britannique est installé dans une quinzaine de villes françaises et il opère lui aussi 46 lignes vers la Grande Bretagne. Jet2.com est certes une compagnie de moindre importance, néanmoins à partir de 6 villes, elle assure 19 liaisons vers l’Angleterre.

Eh bien, le risque est grand que tout ce beau réseau, soit plus de 100 lignes régulières, soit réduit comme peau de chagrin dans le cas d’un Brexit sans accord. En effet la politique de « ciel ouvert » dont les opérateurs anglais ont tant profité, non seulement en France mais dans la plupart des pays de la Communauté, sera alors caduque. Et il faudra bien revenir aux conventions bilatérales entre les pays avec une règle générale : la réciprocité. Autrement dit la France accordera aux transporteurs britanniques autant de capacités que les Anglais accorderont aux compagnies françaises.

C’est là que le bât blesse. En effet les compagnies françaises sont dans l’incapacité d’assurer une quelconque réciprocité par rapport aux capacités que les britanniques sont capables d’assurer. Et l’affaire s’applique y compris à des compagnies comme Ryanair qui sont pourtant communautaires. Certes le transporteur irlandais continuera de profiter de l »Open Sky » européen et il pourra à loisir poursuivre son réseau à l’intérieur de l’Europe. Oui, mais alors la Grande Bretagne n’en fera plus partie. Et les 46 lignes desservies par Ryanair entre les villes françaises et le Royaume Uni tomberont dans le champ de l’accord de droits de trafic entre la France et la Grande Bretagne. Il en sera d’ailleurs de même pour les autres pays européens avec de gros impacts pour l’Italie, l’Espagne ou le Portugal, par exemple.

Le cas d’Easyjet s’analyse de la même manière. Même si le groupe EasyJet a pris la précaution de créer en Autriche une compagnie de droit européen, les accords de réciprocité entre la Grande Bretagne et les autres pays européens devront s’appliquer de la même manière. Et la situation sera encore plus compliquée pour Jet2.com. Je n’ai pas évoqué le cas de British Airways, car celle-ci devrait être beaucoup moins impactée. Elle fait l’essentiel de son trafic sur du long-courrier et elle ne doit pas être loin de la parité avec Air France ou KLM dans leurs pays respectifs.

L’affaire est loin d’être anodine. En effet les transporteurs concernés sont de très gros pourvoyeurs de passagers britanniques vers les villes françaises qui sans eux seraient désertées. Au hasard c’est le cas de Bergerac, Brive, Carcassonne, Dinard, Dôle, La Rochelle, Limoges, Nîmes, Poitiers, Rodez pour n’en citer que quelques-unes. L’apport économique de la clientèle britannique est devenu essentiel pour ces communes. Or il n’est pas question de les laisser sans liaison avec leur marché principal. Comment faire alors que les transporteurs français sont dans l’incapacité de se substituer aux compagnies existantes ? Il y a deux bonnes raisons à cela. D’abord une proximité de langue entre les Ryanair, EasyJet et Jet2.com et le marché britannique. Et puis il faut alors bien reconnaître que les conditions économiques ne sont pas identiques des deux côtés de la Manche. Les charges qui pèsent sur les compagnies françaises rendent économiquement non viables leur substitution aux compagnies britanniques ou irlandaises. Pour compenser ce différentiel, il faudrait augmenter très sérieusement les prix avec le risque évident de raréfaction de la clientèle.

Voilà un casse-tête supplémentaire dans le cas d’un Brexit sans accord. Il ne reste plus qu’à prier pour que ce scénario catastrophe ne se produise pas. On dit que le pire n’est jamais certain. Souhaitons que le dicton ait raison.