Le Piège des revenus dérivés

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Il se passe dans le transport aérien exactement le même phénomène, même s’il est atténué, que celui qui a mis le système bancaire sans dessus dessous. En clair, au lieu de faire leurs résultats sur leur produit de base, les compagnies aériennes, comme les banques, l’ont fait depuis des années sur les produits dérivés. Et il fallait bien que cela leur retombe dessus un jour ou l’autre.

Pour le transport aérien, les recettes «spéciales» sont variées. D’abord, il y a tous ces billets non remboursables que l’on retrouve dans le compte billets émis et non utilisés. Cela peut constituer une recette importante, d’autant plus que la réglementation a été durcie et que de plus en plus de billets sont vendus ainsi. Cela n’empêche pas d’ailleurs les transporteurs de continuer à pratiquer le surbooking dans les mêmes proportions que par le passé. Il suffit de voir, pour s’en convaincre, l’envolée des coefficients de remplissage qui dépassent souvent 80% sur une année.

Il y a également toutes prestations vendues maintenant à leurs clients alors qu’elles étaient auparavant inclues dans le prix du billet, par exemple la mise d’une valise en soute, ou d’ailleurs la possibilité de la garder en cabine, le choix de son siège, l’envoi d’une confirmation de sa réservation par SMS, le paiement par carte de crédit, sans compter bien entendu toutes les ventes à bord… Bref l’imagination des compagnies aériennes, «low costs» ou non, est sans faille.

Mais le plus juteux des revenus dérivés était, jusqu’en 2008, constitué par les surcharges carburant. En clair les compagnies se couvraient sur les cours du pétrole et payaient réellement leur carburant à un prix très inférieur à celui pratiqué par les compagnies pétrolières. Pour ce faire, elles ont bien entendu souscrit des polices d’assurance dont on aimerait bien connaître les montants. Cependant, bien qu’achetant leur pétrole sur une base de disons 60 $ le baril, elles ont encaissé des sommes considérables en surcharge carburant chaque fois que le prix du baril montait. C’est ainsi que des très grandes compagnies, y compris notre transporteur national ont réalisé leurs profits, lors des dernières années essentiellement avec cette recette dérivée.

Tout aurait été très bien, et tout aurait pu continuer si le pétrole avait continué son ascension. Seulement, patatras, le cours du baril s’est effondré avec la crise mondiale, passant nettement au dessous du prix de couverture. Certes les compagnies auraient pu continuer à prendre des surcharges carburant, mais il y a fort à parier que les clients auraient très sérieusement renâclé à les payer. Et donc, exit cette recette et le profit direct qu’elle générait. De plus, les transporteurs continuent à payer leur carburant au prix de sa couverture, lequel est beaucoup plus cher que le prix du marché, et il y a fort à parier que les compagnies paient également très cher les primes d’assurance garantissant ce tarif supérieur. En fait, il convient de nuancer ces affirmations, car certains transporteurs au premier rang desquels Air France/KLM ont continué de prendre ces fameuses surcharges camouflées dans le code de taxes YQ, et, bonne nouvelle, le prix du baril est reparti à la hausse, ce qui enlèvera aux yeux des dirigeants tout scrupule à reprendre cette pratique.

C’est ainsi que, tout naturellement, les profits artificiels, sont passés en pertes considérables. Cela fait des années que les transporteurs n’ont pour seule politique commerciale que la présentation de tarifs plus bas que ceux du concurrent. Ils l’ont fait au détriment de leur produit qui s’est continuellement dégradé, et ils ont oublié qu’un prix de vente ne peut pas être inférieur au prix de revient. Dans le cas des compagnies aériennes on conviendra bien volontiers que le prix du carburant est une composante essentielle du prix de revient. Au fond pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas prendre des surcharges « pilotes » ou « entretien » chaque fois que ces postes de charge augmentent ? Car le carburant n’est ni plus ni moins nécessaire à l’exécution du produit que ne le sont les personnels navigants ou la maintenance des appareils.

Pour n’avoir pas voulu s’affronter aux réalités économiques et n’avoir pas enseigné aux clients que le transport aérien avait un prix, le transport aérien s’est brûlé les ailes (c’est le cas de le dire). Cette crise sera peut-être salutaire si cette industrie revient à ses fondamentaux, et à une relation claire avec ses clients, ce qui n’est certainement pas assuré puisqu’après tout, les résultats des compagnies se sont tout de même améliorés au cours du précédent exercice, alors pourquoi s’amélioreraient-elles ?

Jean-Louis BAROUX
Fondateur d'APG