Le bon coup de Vinci Airports

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Voilà un bras de fer qui promet d’être intéressant au cours de l’année qui vient, entre le groupe Vinci Airports et le Groupe ADP (anciennement Aéroports de Paris). L’un et l’autre ont montré des ambitions internationales importantes dans un secteur d’activité en plein essor et ce pour encore longtemps.

Vinci Airports vient de porter le premier coup, si l’on peut dire, en devenant majoritaire dans le deuxième aéroport londonien : Gatwick. Certes la mise est importante et elle risque d’obérer les capacités de financement du groupe si les analystes trouvent qu’il a eu un appétit un peu trop gros par rapport à sa taille actuelle. Rappelons que Gatwick c’est 46 millions de passagers par an alors qu’Orly n’en représente qu’un peu plus de 30 millions. Mais la plate-forme, même assez éloignée du centre de Londres : près de 48 km est cependant reliée à la capitale par le Gatwick Express qui ne met pas plus de 35 minutes pour rejoindre le cœur de la capitale.

Certes la plate-forme ne peut utiliser qu’une seule piste sur les deux dont elle dispose car elles sont trop proches l’une de l’autre pour être exploitées en même temps. Cela limite sans doute son développement mais notons cependant la performance du contrôle aérien qui traite 1 fois et demi le nombre de passagers d’Orly avec une seule piste au lieu de deux. On voit d’ailleurs mal comment les aéroports londoniens pourront continuer à croître à leur rythme actuel, de l’ordre de 7% pour Gatwick soit le double de Roissy, alors que sa superficie est limitée à 674 hectares contre 1528 pour Orly et 3200 pour CDG.

Le prix payé pour acquérir tout juste la majorité est de 3,22 milliards d’euros ce qui valorise le total à un peu plus de 6 milliards d’euros. Rappelons qu’ADP avec ses trois principaux aéroports parisiens : Roissy, Orly et Le Bourget est valorisé aux alentours de 20 milliards d’euros le tout pour un peu plus de 100 millions de passagers, ce qui représente en calcul très simple 200€ par passager alors que le ratio est de 130€ par passager à Gatwick.

Reste une grande inconnue, c’est le Brexit. Pour le moment tout le monde espère qu’il ne se passera rien de significatif en l’absence d’un accord. Est-ce si sûr ? Les transporteurs britanniques ont fait largement leur développement en Europe, un peu au détriment tout de même des compagnies continentales. Dans le cas où il faudrait renégocier tous les droits de trafic, et cela reste un scénario très possible, les transporteurs du Royaume-Uni auraient certainement beaucoup plus à perdre que les européens. Cela pourrait avoir un impact significatif sur le développement des aéroports londoniens, donc de Gatwick.

Quoiqu’il en soit, avec cette acquisition, Vinci Airports se positionne comme un acteur majeur dans la gestion des aéroports. La compagnie gère déjà 46 plates-formes dans 12 pays, c’est assez dire qu’elle dispose d’une très sérieuse expérience. Certes beaucoup de ces aéroports sont de taille modeste, mais elle a tout de même quelques pépites comme Lyon St Exupéry et Nantes Atlantique en France, ou Santiago du Chili où elle est partenaire d’ailleurs d’Aéroports de Paris, sans compter la quasi-totalité des aéroports de la République Dominicaine.

Reste maintenant à voir comment cette acquisition britannique va impacter la mise sur le marché d’ADP. Il est clair que Vinci Airports part avec un certain avantage sur ses concurrents l’espagnol Ferrovial, l’italien Atlantia, l’australien IFM ou l’américain GIP. La concurrence promet d’être rude, mais les dés ne sont pas encore jetés car personne n’a encore trouvé comment résoudre le casse-tête juridique d’une privatisation avec une limite de propriété dans le temps, même si elle est très longue pour un actif dont l’exclusivité sur les aéroports parisiens est illimitée. Et puis, il faudra bien solder l’affaire de Notre Dame des Landes. Vinci Airports est en droit de demander une indemnité de rupture de contrat de plusieurs centaines de millions d’euros à un État qui ne dispose plus de marges de manœuvre. Cela peut être aussi bien pour Vinci Airports que pour l’APE, l’Agence de Participations de l’État qui va piloter la transaction, une manière élégante de régler un conflit potentiel avec ce qui constitue tout de même la seule alternative française capable de racheter ADP. Et, dernière remarque, pourquoi ne pas faire à Paris, comme à Londres, c’est-à-dire ne vendre qu’une plate-forme, en l’occurrence Orly au lieu de mettre tout ADP sur le marché ?

La partie va certainement être très intéressante. Mais, il existe tout de même une inconnue de taille : et si, finalement, l’État décidait de surseoir à la privatisation d’Aéroports de Paris, tout au moins pour l’année qui vient ?

Jean-Louis BAROUX