Le champ de bataille européen du transport aérien

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C’est finalement en Europe que s’est déplacée la guerre pour le transport aérien. Plusieurs batailles sont en cours : Airbus contre Boeing, les syndicats contre leurs directions, les low costs contre les transporteurs traditionnels et les aéroports contre leurs riverains. Voilà qui va alimenter sérieusement l’actualité de 2017.

D’abord une bataille juridique sans fin entre les deux grands constructeurs d’avions. Airbus fait condamner Boeing à l’OMC mais les Américains font appel et accusent les Européens de recevoir des aides indues. Il n’y a pas d’issue dans cette bagarre. Les uns et les autres reçoivent un support important de la part de leurs Etats respectifs, quelle que soit la forme qu’il puisse prendre. Et finalement il est assez normal que les gouvernements soutiennent la construction aéronautique, laquelle constitue un secteur si stratégique.
Donc cette lutte juridique n’aura pour effet que d’alimenter les cabinets d’avocats qui ont la chance d’avoir les constructeurs dans leur portefeuille de clientèle.

Les syndicats et particulièrement ceux des pilotes sont, eux, arcboutés sur leurs privilèges anciens, acquis au moment où le transport européen était en pleine croissance. Il est curieux de voir d’ailleurs que les plus virulents ne sont pas pour le moment les Français, mais les Allemands. Ces derniers sont en train de donner du fil à retordre à la direction de Lufthansa. Pour tout dire, ils s’opposent par principe aux initiatives prises par la direction du groupe allemand pour contrer l’offensive des « low costs », non seulement sur le court courrier, mais également sur le long courrier.
Notons d’ailleurs, que même si on est pour le moment dans une phase plutôt calme, les fondamentaux sont les mêmes en France pour ce qui est de la relation entre les pilotes et le management. En fait, les pilotes voudraient bien être associés aux choix des compagnies à la condition expresse que ceux-ci ne puissent pas porter atteinte à leur situation, présente et future. Pour autant, ils se refusent à prendre le pouvoir, ce qu’après tout ils pourraient faire, comme cela est arrivé aux Etats-Unis et en particulier chez United Airlines, avec les résultats désastreux qui en ont résulté.

Toute cette situation européenne un peu explosive est causée par l’offensive des nouveaux venus. Les « low costs » obligent les transporteurs traditionnels à repenser leur modèle. C’est très difficile, d’autant plus que ces derniers réagissent toujours avec un temps de retard. Le dernier champ de bataille est sur le long courrier. Or les grands transporteurs européens ont toujours nié la capacité des « low costs » d’exercer de manière profitable sur ce secteur d’activité. L’offensive est venue de la Norvège. Et cela a été une totale surprise. Curieusement, ce pays ne fait pas partie de la Communauté Européenne, mais il a signé les accords aériens qui lui permettent de bénéficier de l’Open Sky européen. On peut alors légitimement se poser la question de la gouvernance européenne. Ce que l’on a accordé à la Norvège et à la Suisse, comment pourra-t-on le refuser à la Turquie par exemple ?

Et puis il reste la question aéroportuaire. Les plateformes européennes sont vieillissantes, à l’exception des espagnoles. Alors, on les rafistole pendant que les asiatiques et celles du Golfe sont totalement repensées. Certes, la situation européenne est rendue difficile par l’exiguïté des territoires et la proximité des populations. Mais une fois encore, les politiques n’ont fait preuve d’aucune vision à moyen et long terme. Les avions sont de moins en moins bruyants et par conséquent, les nuisances sonores en particulier de moins en moins pesantes. Alors, par démagogie pure, on continue à montrer le transport aérien du doigt aux populations riveraines des aéroports en pensant qu’elles ne sont pas clientes de ce mode de transport alors qu’elles en subissent les effets nocifs. C’est prendre les gens pour des imbéciles. Un aéroport est d’abord une source formidable d’emplois et de création de valeurs.
Nous n’avons pas en Europe la capacité de créer de toutes pièces les grandes plateformes nécessaires à absorber l’augmentation du trafic attendu, nous serons obligés de densifier les infrastructures existantes. Beaucoup de progrès sont encore possibles, l’espace aérien n’est pas saturé et les nouvelles technologies permettront de l’utiliser beaucoup mieux. Encore faudra-t-il que les limitations arbitraires soient enfin levées. Je note que les britanniques n’y sont pas allés de main morte pour la création de la 3ème piste d’Heathrow. Celle-ci sera tracée sur l’emplacement de l’actuel siège social de British Airways !

Bref, au moment où le transport aérien annonce des profits historiques de 38 milliards de dollars, soit seulement tout de même 10 dollars par passager, les transporteurs européens sont en face de situations délicates.

Jean Louis BAROUX
A propos de l'auteur

Jean-Louis Baroux fonde en 1983 Air Promotion Group qui deviendra le leader français dans la représentation de compagnies aériennes. En 1991, il crée APG Global Associates, premier réseau mondial de services commerciaux pour le transport aérien. Avec 145 pays couverts et 240 compagnies aériennes clientes, ce réseau est le meilleur observatoire des pratiques commerciales du transport aérien.
Créateur et animateur du APG World Connect et d'APG Academy, Jean-Louis Baroux est l’auteur de Compagnies aériennes : la faillite du modèle (2010) et Transport aérien : une profession au bord de la crise de nerfs (2012). Il est également l'auteur de "Peur sur le Vatican" qui est son premier roman.