Le cout de la déresponsabilisation

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Ce n’est un secret pour personne, le transport aérien a beaucoup de peine à se rentabiliser alors que ce secteur d’activité continue à croître de 5% par an avec une grande régularité. Bien entendu, les responsables accusent la terre entière comme si cette profession était la seule à devoir affronter la mondialisation. Dans ce cas, tous les secteurs d’activité devraient être touchés alors que non seulement ce n’est pas le cas mais que la plupart continue à se développer de manière tout à fait satisfaisante. Et que l’on ne nous ressorte pas la baisse des prix dus à la compétition comme seule cause, cela est vrai de tous les produits et services.

Le cout de la déresponsabilisation
Alors il faut bien se rendre à l’évidence, c’est bien la manière de gérer ces entreprises qui est en cause. Certes le constat est douloureux, mais il faut bien le faire. Je n’ai pas la compétence pour faire une analyse fine des disfonctionnements qui entrainent les difficultés économiques mais il est tout de même possible de pointer du doigt quelques anomalies.

La première qui vient à l’esprit est la lente organisation de la déresponsabilisation. Il n’y a plus de responsables et la prise de décision se fait par consensus. Cela a pour conséquences, d’abord que personne ne sent concerné directement par les mesures arrêtées et que toute prise de décision nécessite beaucoup de temps. Ceci est paradoxal à un moment où l’information est instantanée et très bon marché.

L’exemple le plus symptomatique réside dans la gestion des marchés. Dans les temps pas si lointains, les représentants des compagnies aériennes étaient les vrais maitres de leurs marchés. Compte tenu de l’éloignement qu’il y avait avec le siège de la société, ils étaient amenés à prendre des responsabilités importantes, ils étaient entrainés pour cela et sélectionnés en fonction de leur aptitude à savoir décider. De temps en temps, des réunions générales mettaient en commun les expériences des uns et des autres et tel qui avait bien réussi sur un marché se voyait récompensé en prenant la responsabilité d’une zone plus importante. Une fois par an, ils recevaient leurs objectifs qui étaient d’ailleurs discutés âprement avec les services centraux, et en échange, ils recevaient un budget dont ils étaient responsables. Des inspections régulières étaient diligentées pour éviter les dérives. La conséquence était qu’ils étaient les vrais responsables de leur marché et qu’ils avaient une certaine flexibilité pour fixer les tarifs à la condition que ceux-ci soient compatibles avec les résultats attendus.

Ce mode de gestion est terminé. L’informatique et Internet sont passés par là avec leurs avantages, certes, mais également leurs inconvénients. Parmi ceux-ci, pour le transport aérien est venue la pratique pernicieuse du « yield management ». En d’autres termes, on a déconnecté les prix des prestations, mais également des marchés. En clair, un représentant d’une compagnie sur un marché n’a aucune flexibilité quant aux tarifs applicables. Cela veut dire qu’il est impuissant à conquérir tel ou tel nouveau client, qu’il est impuissant à répliquer à une offre concurrentielle et qu’il n’a aucune possibilité d’améliorer sa recette, même lorsqu’il pourrait le faire. Ce faisant, son impact sur le marché est réduit à la portion congrue. A quoi cela sert-il d’entretenir de bonnes relations avec les agents de voyages puisqu’il n’a aucune possibilité d’influer ni sur leur rémunération, ni sur la gamme tarifaire applicable ? Comment convaincre une société de devenir client de sa compagnie s’il ne détient aucun des outils pour cela ? Sa seule action peut consister à organiser la promotion de sa compagnie, voire de son produit, s’il a une vraie différence par rapport à ses concurrents.

La conséquence est simple. La politique tarifaire a été concentrée dans les mains des « yield managers » situés au siège de la compagnie et qui n’ont pas de rapport avec la clientèle et les marchés potentiels. La deuxième conséquence est que les représentants des compagnies aériennes ont été rabaissés au niveau de « chefs des ventes » et que leur autorité sur leur territoire a disparu.

Encore une fois, on a remplacé l’action des hommes par celle des systèmes. Je ne suis pas certain que le transport aérien y ait gagné.

Jean-Louis Baroux
Fondateur d'APG