Le transport aérien régional: une espèce en voie de disparition

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En plein débat sur l'avenir du transport aérien domestique en France, et la question d'une low cost spécifique d'Air France pour cette desserte particulière, notre spécialiste de l'aérien Jean-Louis Baroux, volontiers iconoclaste, se pose des questions sur le système des "OSP" et fait des suggestions.

Le transport aérien régional: une espèce en voie de disparition
J’ai connu la grande époque du transport aérien régional dans la décennie 1970 et je suis allé à nombre d’enterrements : Air Alpes, Air Alsace, Air Anjou Transport, Uni Air Rouergue, plus tard Flandre Air… TAT a tenu un peu plus longtemps, racheté par British Airways, ce qui prouve la sagacité de son créateur : Michel Marchais. Plus tard, Air Littoral, embourbé dans l’imbroglio Swissair/AOM, a été également contraint à la liquidation. Le reste, je veux dire Régional et Britiair a été repris par Air France, et pour autant que je sache, ce pôle économique ne va pas bien du tout. Quelques indépendants essaient d’exister dans un environnement difficile : Airlinair, sérieusement adossé au groupe Air France, mais néanmoins encore indépendant, Chalair, Twin Jet et Hexair qui contre vents et marées (si je peux dire) continue vaillamment à desservir Le Puy.

Les premières questions qui viennent à l’esprit sont : pourquoi ce gâchis ? Les dirigeants sont-ils nuls ? Ce type de transport ne sert-il plus à rien ?

Il se trouve que je connais personnellement la plupart des anciens ou actuels dirigeants de ces compagnies régionales et je peux vous assurer que ce sont de très bons professionnels et qui sont de surcroît passionnés par ce secteur d’activité. Dans leur ensemble, ces transporteurs sont gérés avec une grande économie de moyens en sachant que les règles de sécurité, heureusement imposées par la DGAC sont très contraignantes en matière de coûts. Il ne faut donc pas chercher les raisons de ces multiples échecs dans la qualité des entrepreneurs.

Alors, peut-être le transport régional n’a plus son utilité ? Certes le développement du TGV et des autoroutes ont grandement obéré le développement du transport aérien. Mais les lignes les plus affectées sont justement les plus grosses, lesquelles n’ont jamais été desservies par les compagnies régionales. La vocation de ce type de transport est justement de travailler sur les petits flux de déplacement qui ne justifieront jamais la création d’une autoroute ou d’une ligne ferrée à grande vitesse. De plus la forte concurrence du train a conduit Air France à diminuer singulièrement le nombre de fréquences sur Orly et par conséquent, à rendre les vols de point à point encore plus nécessaires. Qui va aller de Paris à Brive, de Marseille à Mulhouse, de La Rochelle à Lyon, le Rennes à Toulouse, si ce n’est le transport régional ? Son utilité ne peut être contestée.

Où est l’explication ? J’en vois une très simple. Ce type de transport, pour être fiable et suffisamment confortable, est très onéreux à exploiter. Que vous ayez un appareil de 19 ou de 210 sièges, vous aurez toujours 2 pilotes. Les programmes de formation sont reliés au personnel navigant dont, par définition, le rendement est moindre car les appareils sont moins gros et en général volent moins vite, au moins pour les turbo-propulseurs. L’utilisation des machines est plus faible car pour maintenir des horaires convenables pour les hommes d’affaires, principaux clients du transport régional, il faut au moins un aller retour le matin et le soir du lundi au vendredi. Que faire de son outil de production en milieu de journée et en fin de semaine ? Bref, voilà quelques données simples qui expliquent que le prix de revient d’un siège en transport régional est au moins 2 fois supérieur à celui constaté sur les grands axes, et je ne parle pas des « low costs ». Il convient donc de compenser ces charges par une recette supplémentaire.

Nous avons inventé en France un système formidable qui s’appelle les OSP, traduisez Obligations de Service Public. Lorsqu’une ligne est qualifiée pour une OSP, le transporteur sélectionné reçoit une «subvention» calculée à partir d’estimations de trafic et de recettes sur 3 ans. S’il s’est trompé dans ses estimations, les « subventions » ne couvriront pas son prix de revient et la société sera en danger. De plus, comme nous avons à faire à des appels d’offre, d’ailleurs compréhensibles, les candidats ont tendance, pour emporter le marché, à gonfler un peu les chiffres surtout sur les dernières années couvertes par l’appel. Tout cela est nocif et porte en soi les germes des difficultés.

Il convient de changer de système. D’abord pourquoi faire porter à un entrepreneur privé un risque public ? Ensuite, si la desserte est qualifiée d’utile, pourquoi ne pas acheter directement au transporteur aérien les heures de vol assorties d’une qualité de service et de ponctualité et lui demander de collecter la recette passagers au travers des outils dont il dispose ? Ainsi, la compagnie régionale aurait la sécurité de son revenu et de son compte d’exploitation. Après tout il est normal qu’il soit comptable de ses charges.

Cela n’a jamais été fait ? La belle affaire, cela existe pour le ramassage scolaire et la gestion des TER. Autant appliquer cette mesure à l’aérien.

Les mentalités sont difficiles à bouger, particulièrement dans notre pays si conservateur, mais il faut bien s’adapter aux évolutions techniques et économiques, faute de quoi le transport régional disparaitra et ce ne sera au bénéfice de personne.

Jean-Louis Baroux
Fondateur d'APG