Le voyage d’affaires, une révolution encore à venir

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Pour observer notre industrie, quoi de mieux que de prendre un peu de recul ? Trois «outsiders» passent en revue la technologie, les nouveaux entrants, les business models, leurs déceptions, leurs espoirs, la capacité des protagonistes de notre industrie à se réinventer… ou pas. Rencontre avec Bertrand Mabille*, Président de la société de conseil en fusions-acquisitions «Fortynine consulting» et associé du groupe EPSA, anciennement Vice-Président exécutif chez CWT. Cet entretien est extrait du Mook For Business Business Travel réalisé en collaboration avec Aurélie Krau, associée Festive Road.


Déplacementspros.com : Selon vous, qu’est-ce qui doit changer dans l’industrie du voyage d’affaires ?

Bertrand Mabille, Président de la société de conseil en fusions-acquisitions Fortynine consulting et associé du groupe EPSA : J’ai plutôt envie de commencer par ce qu’il ne faut pas changer. Pour moi qui venait d’un monde de techniciens et d’ingénieurs, l’élément le plus important qui doit rester, c’est le sens du service. Et c’est l’enjeu des prochaines années : comment garder en tête cette valeur tout en opérant la nécessaire transition digitale. Regardez ce que les opérateurs de téléphonie ont fait de leurs services clients : c’est exactement cela qu’il ne faut pas faire au nom de la productivité et de la modernisation.

Déplacementspros.com : Fort de votre expérience, sur quoi notre industrie doit-elle concentrer ses efforts ?

Bertrand Mabille : Mon top 3 des priorités serait le suivant. Premièrement, il faut utiliser la technologie pour réellement transformer l’expérience du voyage d’affaires. Celle-ci est encore marquée par trop de ruptures, d’incertitudes et de pertes de temps. Ensuite, il faut savoir garantir le meilleur prix sans avoir pour cela à dépendre d’acteurs tiers tels que les GDS et les OTA. Enfin, il est nécessaire de réussir à présenter une offre intégrée en matière d’hôtellerie.

Déplacementspros.com : Quelles ont été vos plus grandes frustrations durant vos 8 années chez CWT ?

Bertrand Mabille : La première concerne la transformation de CWT qui s’est traduite par un arbitrage sur la qualité de service. En d’autres termes, nos clients ont parfois perçu l’introduction de la technologie comme un ‘moins’ en termes de service alors que cela devrait être l’inverse. Mon modèle a toujours été celui d’Uber des premiers temps : un service plus automatisé et une qualité améliorée ‘en même temps’ ! Deuxième frustration, l’hôtel. Les grandes agences se sont toutes plantées sur le sujet probablement du fait d’un trop grand alignement sur les GDS et d’une volonté d’harmonisation qui n’existe pas dans l’hôtellerie. Pour finir, j’étais frustré à chaque fois que j’entendais : ‘ j’ai trouvé moins cher sur Internet’…

Déplacementspros.com : Quel regard portez-vous sur l’innovation dans le secteur du voyage d’affaires ?

Bertrand Mabille : Je fais partie de ceux qui pensent que les grands groupes du 20ème siècle ont par nature une gigantesque difficulté à innover malgré toutes leurs déclarations sur le sujet. La mondialisation des firmes s’est construite par la mise en place de processus et de systèmes de contrôle qui vont à l’inverse de la prise de risque et de l’initiative disruptive. L’innovation viendra encore pour longtemps des nouveaux entrants, charge aux plus agiles des grands groupes de savoir s’en saisir sans les détruire instantanément. Ce que fait le groupe Accor est à ce titre intéressant. Je rencontre aujourd’hui un grand nombre de startups qui cherchent à réinventer le voyage d’affaires dans toutes ses composantes. On tâtonne encore mais j’imagine que des nouveautés vont émerger. Il faut bien avoir en tête que, dans le voyage d’affaires, même les principaux acteurs du digital datent de plusieurs décennies maintenant. Il est donc temps de penser aux technologies de demain plutôt que de chercher à intégrer celles d’hier. Les solutions gagnantes seront selon moi celles qui sauront identifier les principaux ‘pain points’ -et dieu sait qu’il y en a ! - ressentis par nos voyageurs et de trouver les moyens les plus simples de les corriger. Au fond, la transition digitale c’est juste cela : mettre la technologie au profit de l’expérience client.
* Cette interview est issue du MOOK #2, plus d’infos ici:www.tom.travel/mook-for-business-travel-2/

Propos recueillis par Aurélie Krau.