Les clients et la mort des compagnies

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La période est néfaste pour nombre de compagnies aériennes en dépit d’une conjoncture très favorable, tout au moins pour ce qui concerne l’année 2017. Rien qu’en Europe, depuis le début de l’automne, nous avons assisté à la disparition de l’anglais Monarch, de l’allemand Air Berlin et, très récemment, de l’autrichien Niki et du suisse Darwin.

Certes la mort des deux derniers était plus ou moins annoncée après le refus d’Etihad Airways de continuer à soutenir, à fonds perdus, le transporteur berlinois et, dans la foulée Darwin Airlines (appelée un temps Etihad Regional). La mort de Niki, une des filiales d’Air Berlin était par conséquent, tout à fait prévisible. Voilà qui est très malheureux et qui signe la fin des ambitions d’Etihad Airways pour rattraper son voisin Emirates, tout au moins quant au volume de leurs bilans respectifs. La compagnie d’Abu Dhabi s’en sortira certainement car elle est puissamment soutenue par son gouvernement dont les ressources financières redeviennent plus importantes à la suite de la remontée du cours du pétrole. Rappelons que le cours du baril de Brent a touché son plus bas le 8 janvier 2016 à 29,26 $ et qu’il est remonté le 17 décembre 2017 à 63,23 $. Bref, les moyens de soutien à Etihad Airways retrouvent des couleurs.

Mais si Etihad s’en sort, certes en perdant sa mise dans les compagnies européennes dans lesquelles elle a investi, y compris d’ailleurs Alitalia et à la notable exception d’Air Serbia qui semble tirer son épingle du jeu, il n’en n’est pas de même de ses filiales qui ont dû mettre la clef sous la porte. Et alors, que deviennent les clients ?

C’est bien là qu’est le problème. La stratégie des compagnies aériennes consiste à faire payer ses futurs consommateurs longtemps à l’avance en leur consentant des tarifs très intéressants, mais en échange de contraintes fortes dont la première est que les billets achetés avec anticipation ne sont ni revalidables ni remboursables. En clair, cela signifie que les pauvres clients acheteurs de billets de Monarch, Air Berlin, Niki ou Darwin n’ont plus que leurs deux yeux pour pleurer. La situation est pire d’ailleurs s’ils ont commencé leur voyage et n’ont pas de possibilité de se rapatrier, car les procédures parfois imposées par les gouvernements pour proposer des solutions de secours, sont longues à se mettre en place.

Alors se pose une fois encore la question de la responsabilité des compagnies vis-à-vis de leurs clients. Dans le cadre d’un dépôt de bilan à l’européenne, ces derniers arrivent au dernier rang des créanciers et il est rarissime qu’ils puissent toucher une quelconque partie de leur achat. Or je note que parmi les compagnies défaillantes, une au moins était membre d’IATA, c’est le cas d’Air Berlin. Eh bien cet organisme se lave purement et simplement les mains quant à ses éventuelles responsabilités.

Depuis des années, les consommateurs se trouvent en situation d’infériorité vis-à-vis de cette puissante institution. Certes IATA est une association de compagnies aériennes et par conséquent, elle a pour vocation unique de défendre ses mandants, contre vents et marées. Mais elle se désolidarise immédiatement si l’un de ses adhérents fait défaut. Par ailleurs IATA dispose d’une influence largement supérieure à la seule protection de ses transporteurs, elle contrôle l’ensemble de la vente du transport aérien au travers de deux outils : le BSP et l’Interline. Par conséquent, les agents de voyages n’ont d’autre possibilité que de passer par ces moyens pour délivrer les billets à leurs clients et le circuit de distribution représente, faut-il le redire, 70% du chiffre d’affaires du transport aérien.

Afin de protéger les recettes des compagnies liées au BSP, IATA ne cesse de renforcer sa réglementation dans le louable but de limiter l’impact de défauts de paiement de la part des agents de voyages. Petit à petit, les délais de règlement se resserrent et dans quelque temps, le prélèvement du BSP se fera en temps réel. Pourquoi pas ? Mais alors se pose la question de la protection des passagers. Or depuis des années, cet organisme gestionnaire du transport aérien fait la sourde oreille à toutes les demandes formulées par les agents de voyages qui se retrouvent en première ligne devant leurs clients en cas de défaillance des transporteurs.

Nous ne sommes certainement pas loin de l’abus de position dominante. Comme toujours, les compagnies aériennes et leur organisme représentatif tirent sur la ficelle autant qu’ils le peuvent pour s’affranchir de leurs responsabilités. Cela a été le cas pour le surbooking, les annulations ou les retards de vol. Alors le législateur est amené à s’en occuper et il a parfois la main trop lourde. Il serait temps qu’IATA règle la protection des clients en cas de défaillance des compagnies, avant que la Commission Européenne s’en mêle.

Jean-Louis BAROUX