Les dommages collatéraux de l’épouse du voyageur d’affaires

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Non, il ne s'agit pas d'une erreur, c'est bien à vous Mesdames que je veux parler ce matin. Je sais à quel point il n'est pas toujours facile d'être l'épouse d'un voyageur d'affaires surtout lorsque celui-ci, pour ses besoins professionnels, se lève très tôt pour aller prendre un avion ou un train. D'autant, et vous l'avez vécu, que lorsqu'un homme se lève tôt le matin, c'est quasiment toute la famille qui démarre à l'aube.

Autant vous le dire de suite, c'est une histoire vécue ! Ma mission : me lever vers cinq heures du matin pour aller chercher un Thalys qui va me conduire à Bruxelles. Mon objectif : ne déranger personne avant mon départ. Bon d'accord, il y a le réveil. Lui, je ne peux rien faire. Il est installé à côté de ma table de nuit et va sonner dès potron-minet. Mon épouse compatissante, prévenue, se tourne dans son lit et fait semblant de ne rien entendre même si je cogne comme un fou dans la table de nuit pour tenter d'éteindre le bruit strident alors que je suis déjà quasiment debout. Une fois passé ce premier incident, tout est parfaitement maîtrisé. J'ai préparé mes affaires dans la salle de bains, mes chaussures au pied des escaliers, mon sac m'attend devant la porte. Première erreur fatale, j'ai laissé mes lunettes sur la table de nuit. Il me faut discrètement remonter l'escalier qui craque, atteindre la chambre, cogner deux ou trois meubles au passage et, grâce à mes deux mains gauches, renverser le livre posé en équilibre à côté du réveil. Au final, j'ai retrouvé mes lunettes... Ma femme elle a perdu le sommeil. "Dors, chérie, ce n'est rien". Qu'importe, un bisou sur le front en guise d'excuse et me voilà reparti. Seconde erreur ! Cette fois-ci c'est la montre qui manque. Ah oui, sur la commode... A l'entrée de la chambre, là d'où justement je viens de sortir si discrètement. Le retour va être cruel. Même en faisant attention, il y a toujours ces petits bruits collatéraux qui viennent perturber l'exercice que l'on s'impose en silence. Et allez donc savoir pourquoi, la malchance s'acharne sur les bonnes volontés. Je percute le chien, qui aboie et râle. Je m'appuie pour me retenir à la porte de la chambre des enfants qui claque bruyamment. Je râle à voix base. Mais un juron, même en catimini, cela s'entend. J'aurais pu penser à la montre dès hier soir. Quel imbécile. Je reviens à la cuisine. Le café passe avec un "glou glou" loin d'être silencieux. Bizarre, la cafetière fait toujours ce bruit de machine à vapeur ? Je vois apparaître mon épouse dans l'encadrement de la porte. Selon elle, j'ai fait tellement de bruit qu'elle est incapable de se rendormir aussi facilement que je l'affirme. Dommage, car au moment même où elle s'installe pour son café, je pars pour cette journée de voyageur d'affaires. La même, à mon retour le soir, au moment où je m'affale dans le canapé, rompu et exténué, me susurre à l'oreille que nous sommes attendus chez nos voisins pour un dîner programmé de longue date. Je le savais, la vengeance est un plat qui se mange froid. Je n'ai plus qu'à déguster.

Marcel Lévy