Les grandes manœuvres européennes des compagnies du Golfe

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Après une très longue période d’expansion au cours de laquelle ils ont imposé au transport aérien un nouveau modèle basé sur la qualité de service, les trois principaux transporteurs du Golfe : Emirates, Qatar Airways et Etihad se trouvent devant une situation difficile. Attention, ils sont tout de même dans une position encore largement enviable, mais ils doivent faire face à un environnement dégradé.

D’abord une situation géopolitique compliquée par des conflits à répétition dans leur zone de chalandise rapprochée. Le conflit syrien ne trouve pas de solution, l’Irak cherche à reconquérir son territoire sur les terroristes de Daech et le Yémen est en voie de décomposition. Ces guerres civiles ont bien évidemment des conséquences sur le transport aérien. En bref, le marché régional est pour le moment à l’arrêt. D’autant plus que la baisse du prix du pétrole a une influence considérable sur les recettes des Etats de la région : l’Arabie Saoudite en premier, mais également les Emirats et le Qatar.

Ensuite la montée en gamme des compagnies asiatiques. Les transporteurs chinois, indiens et indonésiens deviennent des acteurs importants capables de défendre leur marché national même sur des destinations long-courrier. Or les pays asiatiques ont constitué pendant des années un énorme réservoir pour soutenir la croissance des compagnies du Golfe.

Et puis les Emirates, Qatar Airways et Etihad ont passé des commandes considérables auprès des deux grands constructeurs mondiaux : Airbus et Boeing et ils doivent maintenant absorber cette nouvelle capacité même si, comme Emirates, ils en profitent pour rajeunir leurs flottes qui sont pourtant parmi les plus modernes au monde.

Bref, les 3 grands acteurs de la région se trouvent confrontés à un marché local peu dynamique, à une diminution du support de leurs Etats confrontés à la baisse drastique de leurs recettes pétrolières, et à une concurrence accrue sur leur principal réservoir de marché. Bien entendu, aucun des 3 transporteurs ne veut baisser le pavillon devant les autres. Il y va du prestige de leurs pays dont ils sont les premiers porte-drapeaux.

Alors, tout naturellement, ils portent leur regard vers l’Europe. Ce continent représente pour le moment la seule vraie possibilité d’expansion. En effet, les 380 millions d’européens jouissent encore d’un niveau de vie enviable qui permet à une très grande partie de la population de devenir cliente du transport aérien. Or les acteurs historiques sont dans une relative faiblesse. Les trois grands groupes : IAG, Lufthansa et Air France/KLM, se restructurent pour faire face à l’arrivée de nouveaux acteurs « low costs » sur le long-courrier qui reste leur seule source de profit après avoir perdu la partie sur le court/moyen-courrier devant les transporteurs à bas coût.

Sauf que les compagnies du Golfe ne disposent pas de droits de trafic transatlantiques, encore très protégés entre les compagnies européennes et américaines. Alors, pour forcer la porte d’entrée, ils acquièrent des pans entiers de capital dans ces groupes.
Cela a commencé par Qatar Airways qui a acquis d’abord un petit 9% de IAG mais qui vient récemment de monter à 20% du capital dans le groupe Britannique. Etihad de son côté a, depuis quelques années, pris des positions fortes dans les compagnies européennes secondaires Air Berlin, Darwin, rebaptisée Eithad Regional, Air Serbia et finalement Alitalia. Mais la compagnie d’Abu Dhabi veut plus et d’abord un accord avec Lufthansa. Pour commencer, elle entre en force dans un nouveau transporteur à vocation touristique constitué avec le groupe TUI et doté de 60 avions pour commencer. Excusez du peu ! Dans cette affaire, Air Berlin risque bien de passer à la trappe. Incapable de redresser ses comptes, la compagnie berlinoise est obligée de céder une très grande partie de sa flotte au groupe Lufthansa via sa filiale Eurowings, le tout avec l’accord d’Etihad.

Et Emirates, me direz-vous ? Eh bien le transporteur dubaïote continue à tracer son chemin tout seul avec juste, ici ou là, quelques accords de partenariat pour contrôler certains marchés jugés stratégiques comme l’Australie par exemple. Mais il serait surprenant de ne pas la voir prendre sa place dans la bagarre transatlantique qui s’annonce. Son atout réside bien évidemment dans son carnet de commandes auprès d’Airbus. Pourquoi ne s’en servirait-elle pas comme levier, pour obtenir les droits de trafic dont elle a besoin ?

L’Europe est devenue un enjeu majeur pour les compagnies du Golfe qui vont s’y affronter. Peut-être après tout pour le plus grand bien des passagers.

Jean-Louis BAROUX