Lettre ouverte aux pilotes d’Air France

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Depuis des siècles, l'homme, malgré son génie, est responsable de millions de morts liés à des erreurs, qu'elles soient politiques ou technologiques. Il en est ainsi, notre force comme notre faiblesse cohabitent dans notre capacité à générer le meilleur comme le pire. Rien n'est plus difficile alors que de regarder les choses en face. La perte d'un être cher ou de collègues reste un moment douloureux de la vie que seul le temps estompe même s'il n'efface pas de nos mémoires l'instant tragique.

Le vol AF 447, comme l'accident du Concorde, font partie de cette mémoire collective où chacun va essayer de comprendre, d'accepter, d'analyser. Un bout de métal oublié sur la piste et pourtant signalé comme dangereux, une perte de contrôle d'un appareil au milieu d'une épouvantable tempête... Les arabes ont un mot formidable pour définir l'indéfinissable : mektoub. Le destin. Du peu de connaissances que j'ai de l'aérien, j'ai retenu qu'un accident d'avion ne se reproduisait jamais deux fois. L'analyse des causes, qui conduit les enquêteurs à étudier aussi bien la technique que le comportement des hommes, permet de comprendre, voire au moins de soupçonner, les raisons d'un crash. On adopte alors des procédures sensées éviter qu'il ne se reproduise ou tout du moins que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets. C'est toute l'intelligence humaine.
Mécontents des analyses actuellement faites, vous, les pilotes d'Air France vous vous êtes retirés de l'enquête technique en cours sur l'accident du Rio-Paris. Libre à vous, bien sûr, de ne pas approuver les conclusions auxquelles vous avez accès, en tant que partie civile. Vous pouvez reprocher toutes les éventuelles manipulations éditoriales du BEA, vous opposer à toute vision humaine de la catastrophe. Il n'empêche. Les faits sont là ! L'avion, lui n'est plus. Aussi, au lieu de quitter un comité d'enquête pour démontrer votre opposition, on s'attendrait plutôt que des hommes responsables comme vous l'êtes quotidiennement dans votre cockpit, dépassent l'émotion pour atteindre les faits. Ni un chèque, fut-il conséquent, ni des condamnations, même sévères, ne feront avancer cette compréhension indispensable à la perception des risques du transport aérien. Oublions les raisons politiques, les éventuelles responsabilités de la compagnie, les pannes techniques et tout autre excuse, même injustifiable, pour aller de l'avant. La connaissance et l'apport des pilotes c'est une sécurité supplémentaire pour les voyageurs. Le temps de la compréhension ne fera jamais oublier celui de la responsabilisation. Revenir à la table de l'enquête sur le crash du vol AF447, quelles que soient au final les raisons de l'accident, c'est garantir aux pauvres voyageurs que nous sommes, des professionnels aguerris à l'avant de l'appareil. Croyez-moi, c'est le plus bel hommage à rendre à l'équipage disparu.

Marcel Lévy