Libéralisation du rail : les distributeurs jouent cartes sur table

311

La libéralisation du rail en France débutera d’ici la fin d’année 2019. Depuis cette annonce, les distributeurs du secteur peaufinent leur stratégie pour pouvoir se démarquer et acquérir de nouvelles parts de marché, spécifiquement pour les acteurs internationaux.

La ministre des transports Elisabeth Borne le confirmait en mars 2018 : l’ouverture du rail en France sera progressive. Pour les TGV, l’arrivée de la concurrence sera possible à partir de décembre 2020 et en décembre 2019 pour les trains régionaux (TER). En Ile-de-France en revanche, de par la complexité du réseau, l’ouverture se fera au cas par cas selon les lignes et les types de trains à partir de 2023. Pour le marché de la distribution, cette ouverture à la concurrence vient également dépoussiérer le marché français. Aubaine ou contrainte ? Les acteurs sont unanimes : il sera avant tout question de renouveau.

1,7 milliard, c’est le nombre de passagers transportés par la SNCF en 2017. Un chiffre en perpétuelle croissance annuelle qui fait du marché du rail un véritable Eldorado pour les acteurs de la distribution. Fondée en 2013, l’entreprise GoEuro s’est donnée comme mission de proposer une plateforme qui permet de planifier et réserver différents trajets sur le continent quelque soit le mode de transport. « Aujourd’hui nous proposons des billets de train, d’avion et de bus », explique Bertrand Etienne, Directeur Régional pour l’Europe du Sud Ouest-France, Benelux, Italie, Espagne et Portugal. En 2018, la jeune pousse levait 150 millions de dollars pour accélérer sa croissance et améliorer sa solution. De son côté Trainline (qui a racheté le Français Capitaine Train en 2016) enregistre 204 ventes de billets par minute à travers le monde et accompagne chaque jour 172 000 voyageurs. Son concept est simple : la société anglaise vend des billets de train et de bus (ou les deux) dans 45 pays à travers le monde. Encore peu connues en France face à l’historique OUI.SNCF, distributeur officiel de la maison mère SNCF, la libéralisation du rail pourrait bien être un tremplin pour les deux jeunes entreprises. Quels sont leurs atouts ? A qui s’adressent-elles ? Le leader du marché pourrait-il céder sa place ?

L’intermodalité comme plus-value

Chez Go Euro, c’est certain : « Notre positionnement international est un gros plus », affirme Bertrand Etienne. La société met en avant une stratégie portée par la mobilité et l’intermodalité : « Nous avons toujours été en avance concernant la stratégie digitale. Les achats se font d’ailleurs en majeure partie sur mobile. En parallèle, nous avons l’habitude de travailler avec plusieurs pays, déjà ouverts à la concurrence, et plusieurs modes de transports, comme l’aérien. » ajoute-il.

Pour Trainline, l’ouverture à la concurrence en France ne provoque aucun vent de panique, bien au contraire : « Nous avons l’habitude de travailler avec de nombreux acteurs internationaux, et ce, à travers le monde. C’est le moment pour nous de nous démarquer grâce à nos offres multimodales et de proposer la meilleure expérience client possible », commente Daniel Beutler, président de Trainline International. Mais ce qui va réellement changer lors de la libéralisation du rail c’est « l’étendu du choix qui va s’ouvrir aux voyageurs. En tant que distributeur nous aurons un vrai rôle à jouer dans cette transition et une plus-value à apporter », souligne Bertrand Etienne. « L’avantage pour les voyageurs c’est qu’en faisant appel à nous, ils pourront très facilement combiner les billets pour un trajet international ou faisant appel à plusieurs modes de transports », ajoute Daniel Beutler. A la question redoutez vous la concurrence des autres plateformes et du leader actuel Oui.SNCF ? La réponse est non : «Oui.SNCF est une entreprise historique leader sur le marché en France et qui le restera, c’est une très belle maison mais notre positionnement n’est pas le même », assure Bertrand Etienne. Quant à la course à l’innovation, Trainline l’affirme : « Ils ont réalisé un très gros travail autour de leur stratégie digitale ces dernières années, certes. Les innovations des concurrents nous poussent à accélérer de notre côté. Cela nous booste plus que cela ne crée de tensions ou de frustrations », tient également à préciser Daniel Beutler.

Plus de choix pour le client final

Mais concrètement, cela sera-t-il si facile pour les professionnels du voyage ou pour les particuliers de s’y retrouver ? Selon les distributeurs interrogés, oui. « Nous allons ajouter les nouveaux inventaires au fur et à mesure et accompagner les voyageurs tout au long du parcours client si besoin », précise de son côté GoEuro. Chez Trainline, « tout va justement devenir beaucoup plus facile. Chaque voyageur aura possibilité d’utiliser la même plateforme partout dans le monde pour tous les trajets ! Notre objectif c’est que les Français pensent désormais à nous à chaque fois qu’ils souhaitent partir quelque part ». Sera donc-t-il plus facile de réserver ses billets de train (ou autre) ? C’est en tout cas ce qu’assure les professionnels de la distribution, avec un choix plus large (prix, confort, mode de transport, correspondance…) et plus de destinations (surtout). « Ce qui va vraiment faire la différence lorsque les nouveaux acteurs vont arriver en France c’est l’évolution de l’offre. Si l’un d’eux propose un Lyon-Paris au même prix que la SNCF la personne ne verra d’intérêt à le choisir. En revanche, si sur ce même Lyon-Paris on ajoute un terminus à Lille ou à Reims, de nombreux voyageurs vont y trouver leur compte. On va donc voir émerger de nouvelles « routes qui n’existaient pas avant », analyse Daniel Beutler.

Une vision internationale forte

Quant à la relation avec les acteurs du nouveau rail, le rôle du distributeur sera avant tout de les accompagner sur un marché que certains connaissent peu : « Il faut les accompagner dans cette transition au même titre que les voyageurs. Notre vision européenne peut vraiment jouer en notre faveur de ce côté-là pour séduire de nouveaux partenaires », affirme Bertrand Etienne. Car c’est que qui fait la principale différence de GoEuro et de Tranline en les comparant à OUI.SNCF : une vision internationale et un marché étendu en Europe, voire à travers le monde. « La seule chose qui nous inquiète honnêtement ce sont les marchés fermés, là où certains acteurs sont trop puissants pour laisser arriver un nouvel entrant », confie Bertrand Etienne. « SNCF est un très grand groupe, par définition ils ont moins de marge de manœuvre que nous à cause de leur taille. Nous avançons plus vite lorsque nous avons une nouvelle idée, et ça, ça peut faire la différence sur le long-terme », conclut Daniel Beutler.

OUI.SNCF n’a pas souhaité être interviewé. La société française nous a néanmoins fait part de sa vision par mail en assurant vouloir proposer aux clients la meilleure expérience possible, « en nous adaptant aux envies et aux usages de chacun. » Dans ce cadre, elle souhaite, « répondre aux enjeux actuels et futurs de mobilités liés notamment à la multimodalité, aux enjeux environnementaux et à un besoin croissant de simplicité et de personnalisation dans l’organisation des déplacements. » Des offres tout-en-un au niveau national pourraient voir le jour, « tout en favorisant une mobilité durable et intelligente ». « Dans ce cadre, nous pourrions intégrer les nouvelles offres de transport local afin d’assurer cette continuité de mobilité pour les trajets que nous proposons. Sur la longue distance, nous étudierons les opportunités notamment en fonction de l’intérêt de nos clients», conclut-elle.