Lufthansa veut recréer à sa façon feu « Air Inter »

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Notre excellent confrère Tourmag a évoqué hier le départ annoncé de la Lufthansa de CDG au profit de sa low cost Germanwings. Le modèle n'est pas nouveau. Utiliser les compagnies secondaires comme vecteur de développement d'un hub principal, tous les transporteurs connaissent. Même Air France, sous la Présidence Gourgeon, avait émis une idée comparable. Elle passait par les bases de province. Alexandre Juniac est allé plus loin avec Hop!.

Mais Air France n'est pas allé au bout du raisonnement. Et pour cause, les finances de la compagnie nécessitaient le plan Transform, une réduction des coûts d'exploitation essentielle à la survie de la compagnie. Il était donc difficile d'engager deux gros projets en même temps. De Juniac le conserve sous le coude sans l'oublier. Tous les médecins vous le diront, c'est compliqué, au même instant, d'arrêter de fumer et d'engager un régime alimentaire drastique. Une chose à la fois. Air France a joué la carte de la prudence mais gare, la concurrence veille. D'autant que, vu de l'extérieur, Air France progresse peu. On s'attendait à ce que Hop! prenne l'ensemble de la desserte intra européenne. Il n'en est rien. Dommage. La confusion sur l'avenir des bases et la présence de certaines lignes toujours exploitées par AF n'est pas bonne pour le client "affaires", le plus important pour la rentabilité.

Globalement, la Lufthansa veut "s'étihadiser", c'est à dire prendre beaucoup de participations dans de très nombreuses compagnies et attirer les passagers vers un hub principal. C'est ce qu'elle fait déjà avec Swiss, Austrian, Brussels Airlines. Pourquoi pas, mais cette politique allemande risque bien de semer le trouble dans la Star Alliance. Comment accepter que l'on puisse proposer une offre construite sur un regroupement et non sur l'éclatement de l'offre ? Turkish, qui vient de faire les frais d'un coup de sang de Lufthansa, a d'autant plus de chances de s'en tirer seule que d'être associée à une structure qui regardera toute conquête de passagers comme une concurrence déloyale.

A terme, selon cette stratégie, il ne restera en Europe que 3 grands hubs : Roissy, Francfort et Londres. Exit Milan, Lisbonne ou Madrid. Oublié Zurich et la vingtaine d'autres plateformes régionales dont la seule finalité sera d'être le haut d'un entonnoir qui finira dans les plateformes principales. Malin, mais dangereux. British a bien compris que le travail par continent pouvait aussi être intéressant. C'est la méthode Emirates et à plus petite échelle, celle de Qatar. Suffisamment de regroupements pour permettre d'offrir au passager une carte des destinations alléchantes.

En clair, le résultat des grandes manœuvres engagées en Europe sera vite connu. Ni AF, ni la Lufthansa ne peuvent se permettre de rater leur stratégie de développement. Air France devra la simplifier. Lufthansa la clarifier. Et même si le modèle des compagnies du Golfe est tentant, l'Europe n'a pas en mains les mêmes cartes pour y jouer. Pour avancer, il faudra de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace.

Marcel Lévy