Mais ou s’arrêtera Emirates ?

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Coup sur coup, Emirates vient encore de frapper et fort.
D’abord et pour ce qui concerne essentiellement le marché français, la compagnie vient d’ouvrir à CDG, dans le module de jonction des terminaux A et C, le plus grand salon compagnie ait jamais opéré en dehors de sa base. Ce salon fait, tenez-vous bien, près de 1000 m². C’est assez dire les ambitions du transporteur sur le marché français qui n’est pourtant pas le plus important au monde.

Mais ou s’arrêtera Emirates ?
Actuellement, Emirates opère pourtant de très grosses capacités à partir de notre territoire. Jugez-en plutôt. Au départ de Paris : 2 vols quotidiens en A 380 et 1 vol 5 fois par semaine en Boeing 777. Au départ de Nice : 1 vol quotidien en Boeing 777 et, plus récemment, au départ de Lyon un A340, 5 fois par semaine. Si je compte bien dans chaque sens, Emirates propose 12.504 sièges par semaine soit une capacité annuelle offerte sur les lignes au départ et à destination de la France de … 1.300.400 sièges. Je connais nombre de compagnies qui se contenteraient largement de cette capacité globale. Et le remplissage suit puisque la compagnie tangente les 80% de remplissage sur ces destinations.

En fait, sans qu’on ne l’ait vraiment vue arriver, Emirates est devenue la première compagnie globale. Et elle est en train de renforcer encore son emprise.

Le transporteur Dubaiote vient en effet d’obtenir les droits de 5ème liberté au départ de Milan Malpensa vers New York. L’affaire est passée largement inaperçue, sauf de quelques publications professionnelles, et pourtant elle marque le début d’une véritable révolution. De quoi s’agit-il ?

Eh bien, dans l’avenir, Emirates a obtenu des autorités italiennes le droit d’exploiter la ligne Milan New York et donc de charger à son bord la clientèle italienne sur cette destination. La compagnie est prudente dans son approche et ne mettra en ligne que des appareils de «petite capacité», si l’on peut dire pour des modules de type A 340. Mais cela va changer singulièrement la donne. Le marché transatlantique était jusqu’à présent la chasse réservée des transporteurs Européens et Américains qui en ont largement profité pour proposer des services de plus en plus spartiates. Pourquoi se gêner alors qu’il n’existait pas de vraie concurrence de haut de gamme, si l’on met à part Virgin Atlantic dont les capacités sont limitées par les accès à Heathrow.

Seulement l’environnement va changer. Petite question très simple : à partir du moment où Emirates opère avec sa qualité de services des vols quotidiens au départ de Milan vers New York, qui achètera encore les services d’Air France/Alitalia via Paris ou Lufthansa via Francfort voire même British Airways via Londres ? Je sais bien qu’American, Delta, United voire Alitalia opèrent déjà des vols directs, mais franchement, leur qualité de service ne peut souffrir la comparaison avec Emirates. Et il y a très peu de chances que ces transporteurs s’améliorent uniquement sur cette destination, car cela aurait des incidences sur l’ensemble de leur réseau, ce à quoi ils ne sont, pour le moment pas préparés. Alors probablement pour maintenir leur volume de passagers, ces transporteurs baisseront leurs prix, comme ils l’ont toujours fait. Et ce qui était une desserte profitable au moins en vols directs, va progressivement devenir un ilot de pertes supplémentaires.

Ce qui s’est passé entre l’Europe et l’Asie va forcément se reproduire alors entre l’Europe et les USA. Car on voit mal l’affaire s’arrêter là. Combien de temps faudra-t-il à Emirates pour gagner de l’argent sur cette nouvelle desserte et combien de temps faudra-t-il aux transporteurs du Golfe pour demander, avec une insistance forte, les fameux droits de 5ème liberté au départ des autres pays européens ? Et quelle sera la capacité des états européens à les refuser alors que les pays du Golfe pèsent de plus en plus sur l’économie européenne et que de surcroit les clients réclament une meilleure qualité de services ?

La seule parade consistera certainement, pour les compagnies européennes au moins, à hausser le niveau de leurs prestations à la hauteur des transporteurs du Golfe. Faute de quoi, après avoir perdu la main sur le court courrier au profit des « Low Costs », elles perdront également la bataille du long courrier.

Le temps pour réagir devient de plus en plus court.

Jean-Louis BAROUX