Menaces terroristes contre la France : comment sécuriser ses voyageurs d’affaires ?

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Face aux menaces terroristes formulées par les commandos islamistes du Sahel, le Ministère des Affaires Etrangères (MAE) a fait état de risques potentiels pour les intérêts français dans les différents pays arabes. Selon des sources proches de la DGSE, ces menaces pourraient également préparer des opérations menées sur le sol français voire en Europe. Comment les entreprises peuvent-elles protéger leurs voyageurs d'affaires ? C'est ce que nous avons demandé à Olivier Didio, directeur de la sécurité du développement pour Geos.

Menaces terroristes contre la France : comment sécuriser ses voyageurs d'affaires ?
Premier constat évident pour ce spécialiste de la sécurité : «Chaque entreprise a sa propre mesure du risque et son interprétation. On peut s'aider de sites Internet comme celui du ministère des affaires étrangères ou de son homologue britannique, éditer sa propre carte du risque en fonction des informations qui remontent, que ce soit des ambassades ou des services économiques associés mais également utiliser des correspondants dont on dispose sur place». Sans oublier les professionnels de la question : «Qu'il s'agisse de grandes entreprises ou de PME-PMI, les sociétés comme GEOS sont là pour assurer cette analyse sécuritaire et fournir des informations sur des destinations peu ou pas connues par les entreprises qui doivent s'y rendre pour la première fois». Il reste que la définition du risque est toujours assez floue. «Le terrorisme n'est qu'une toute petite partie des problèmes que peut rencontrer un voyageur d'affaires», remarque Olivier Didio, «Le risque est beaucoup plus large, partout dans le monde, et prendre des formes très différentes : d'une chute dans l'escalier à un accident de voiture. Il est donc important que l'entreprise l'analyse dans sa globalité afin de déterminer les process à mettre en œuvre face à un problème, du plus simple au plus complexe».
A l'évidence, si l'entreprise ne dispose pas d'une boule de cristal pour déterminer les risques potentiels lors du déplacement d'un ou plusieurs de ses salariés, il est évident que cette analyse permanente du terrain est prioritaire pour déterminer si le déplacement que l'on souhaite engager présente, ou non, des dangers. «Il faut faire attention car analyser simplement le lieu où l'on va n'est pas forcément révélateur de la région toute entière», souligne Olivier Didio. «Prenons l'exemple aujourd'hui du Mali, là où tous les yeux sont braqués en ce moment. On se rend compte que les terroristes ont frappé ailleurs, en Algérie, avec l'effet de surprise inhérent à ce type d'opération. Il faut donc déterminer à la fois les risques sur zone mais également l'environnement géographique du risque. Il ne faut pas croire que seule la zone de conflit est dangereuse, l'environnement proche est également directement concerné et il faut donc l'intégrer dans sa carte du risque».

Un risque seul n'existe pas. Il faut parler de risques au pluriel

Pour notre spécialiste, l'élargissement du risque posé par le terrorisme ne doit pas devenir la seule obsession de l'entreprise. «Quelle que soit la taille de l'entreprise, il faut s'habituer à définir les risques en fonction de leur réel niveau d'importance. Un pays peut être classé vert un jour, c'est-à-dire sans danger, et passer en quelques heures à rouge, où tout déplacement est interdit. C'est donc à l'entreprise de maintenir un minimum de veille, quitte à se faire aider, et d'écouter les voyageurs qui le plus souvent ont une bonne connaissance de la région où ils doivent se rendre», explique Olivier Didio. Le retour d'expérience du voyageur en déplacement est en effet devenu essentiel. Pour les spécialistes de l'accompagnement sécuritaire armé qui interviennent au Liban, en Irak ou en Afghanistan, «Le débriefing est le moment le plus important au retour du voyageur. Avant même son ressenti commercial». C'est cette expérience qui va garantir le voyage des autres salariés qui auront à exécuter le contrat économique.
Légalement, et tous les acheteurs de voyages le savent, toute entreprise a un devoir de protection de son salarié. Le fameux "duty of care", ce devoir de vigilance, qui pilote l'ensemble des réflexions que l'on a autour de la sécurité. Il ne faut pas le négliger tant la frontière est fragile entre la responsabilité de l'entreprise et l'attente du voyageur. Mais au-delà, c'est la mise en place même de ces outils d'analyse du risque que l'entreprise doit travailler avant de prendre la décision d'envoyer l'un de ses salariés sur zone. «Nous considérons que le devoir d'information doit être visible et manifeste de la part de l'entreprise», explique Olivier Didio, «Cela veut dire que le salarié doit être informé, et selon moi par écrit, des risques potentiels d'un déplacement sur une zone jugée dangereuse par son entreprise. Il peut s'agir d'une fiche de présentation de la destination qui met en avant les dangers possibles du terrain». Au-delà, on peut imaginer que l'entreprise va souhaiter assurer sa formation pour lui permettre d'éviter les dangers et d'apprendre à réagir à des situations de risque, qu'elles soient liées au terrorisme, à un tsunami voir même un tremblement de terre. «Je le dis souvent, le voyageur a lui aussi un rôle d'information et d'analyse des risques. On peut comprendre qu'il refusera un voyage susceptible d'entraîner des risques personnels sur le terrain. Une sorte de principe de précaution», remarque Olivier Didio qui veut lutter contre "la panique circonstancielle", qui s'installe à chaque grand événement tragique dans le monde.

Impliquer la hiérarchie

Pour tous les analystes des problèmes sécuritaires, c'est le choix du voyage qui doit aussi faire l'objet d'une attention toute particulière. «Dans des entreprises de petite ou de moyenne taille, on a déjà vu des cadres s'embarquer pour des déplacements vers des destinations complexes sans forcément prévenir leur environnement proche voire même leur hiérarchie», confirme Olivier Didio. Or, lorsque l'on doit se rendre dans des pays où la sécurité n'est pas forcément assurée, il est nécessaire d'avoir le soutien total de sa direction afin de ne pas se sentir isolé au moment du départ. «Cette prise en compte au plus haut niveau de l'entreprise permet de valider les process de surveillance et de contrôle du voyageur qui ne sont pas là pour le "fliquer" mais bien au contraire pour l'assister», explique t-il. Aussi, on le comprend aisément, la formation devient essentielle lorsque l'on veut dépasser la notion de risque pour mettre en place une politique de réaction face aux dangers. Que ce soit pour une agression physique, une tentative d'enlèvement voir même des menaces plus ou moins voilées, savoir réagir est essentielle à la perception de l'agression mais également à sa capacité de la régler. «On se rend compte que, dans bien des cas, l'entreprise préfère assurer l'accompagnement de son voyageur plutôt que de l'aider à mettre en place une prévention et une réaction à des situations complexes sur le terrain», remarque Olivier Didio, «C'est pour cela que je dis souvent - et encore une fois quelle que soit la taille de l'entreprise, de 30 à 30 000 personnes, l'accompagnement à la sécurité des déplacements se fait à la fois en anticipant le risque mais également en permettant aux salariés de réagir sans panique, de façon lucide et la plus efficace possible. Je sais que cela peut apparaître comme étant le processus idéal. Mais je suis certain qu'un salarié conscient des risques, formé pour les aborder sans forcément les résoudre seul, est bien meilleur sur le terrain que tout autre».
Sans forcément l'avouer, bien des responsables sécurité affirment que le choix du voyageur est lui aussi primordial. Autant envoyer un baroudeur, capable de réagir, plutôt qu'un gringalet peureux de tout. C'est l'une des bases de travail de bien des formateurs : déterminer la capacité de réaction face au danger. Si la peur doit tétaniser un voyageur au risque de le rendre encore plus vulnérable, autant le faire accompagner. Mais le "casting" a ses limites. Humaines d'abord, professionnelles ensuite. Tous les commerciaux ne sont pas les fils de James Bond et reporter le craintes de l'entreprise sur leur éventuelle ceinture noire au judo peut avoir des conséquences dramatiques. A contrario, oublier cette donnée au moment du choix de celle ou celui qui représentera l'entreprise pourrait aussi être considéré comme une faute professionnelle. A méditer !

Marcel Lévy
Une check list pour valider ses process

En termes de sécurité, il est toujours plus facile de déterminer après un événement ce qui aurait du être fait en amont. Voici donc les conseils des pros pour anticiper au mieux les dangers d'un déplacement professionnel :

1) Je consulte toujours le site du MAE avant de valider une demande de voyage
2) Si c'est la première fois que l'on part dans le pays, il est prudent de demander une analyse sécuritaire de la destination
3) Si le pays présente des risques, j'informe le voyageur de la réalité sécuritaire et lui fournis une fiche détaillée sur la destination. Je préviens la direction, que je mets en copie des documents obtenus.
4) Je fournis au voyageur une fiche de rappel de l'attitude à tenir dans un pays à risque
5) Je vérifie que le voyageur est couvert par un contrat d'assistance. Je fournis au voyageur la liste des numéros d'urgence dans le pays et le H24 possible en France.
6) Je sécurise les déplacements du voyageur : location d'une voiture sécurisée, mise en place d'un accompagnement. J'assure la réservation de la navette entre l'aéroport et l'hôtel.
7) Je contrôle les durées moyennes de déplacement entre l'hôtel et le lieu de rendez-vous. J'établis pour le voyageur un planning précis des départs et retours à l'hôtel. Je lui demande de prévenir systématiquement un contact en France avant tout déplacement, avec indication de délai de retour pour qu'une alerte se déclenche en cas d'absence.
8) Si la sécurité est peu ou pas assurée, j'équipe le voyageur d'un téléphone satellite qui passera même si les liaisons portables sont coupées. J'organise un contact téléphonique toutes les 6 ou 12 heures.
9) Au retour du voyageur, j'établis une fiche pratique de la destination avec ses pièges et ses points forts. Je l'intègre aux documents de voyage pour les autres voyageurs