Nuages sur le Golfe

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Depuis deux décennies au moins, les compagnies aériennes du Golfe ont le vent en poupe, mais cette situation risque de ne pas durer. Poursuivre la croissance à laquelle ces transporteurs nous ont habitués va demander une conjonction d’événements positifs qui ne semble pas se profiler.

Rappelons un peu l’historique. Les premières compagnies ont été créées dans les années 1950 : c’était le cas de Gulf Air et de Kuwait Airways. La première était d’ailleurs une compagnie multinationale possédée par les Emirats, le Qatar et Bahreïn. Sauf que l’Emirat de Dubaï avait des ambitions et en 1985, il a ouvert sa propre compagnie aérienne, Emirates, qui est devenue la première compagnie mondiale pour le trafic international. Quant à Kuwait Airways, elle a vu son développement s’arrêter net lorsque cet Etat a été envahi par l’Irak en 1991, et elle n’a commencé à s’en remettre que tout récemment.

Mais, question de fierté nationale, les Emirats et le Qatar ont fait le choix d’avoir leur propre transporteur. La création de Qatar Airways en 1993 et d’Etihad Airways en 2003 a changé la donne en créant une véritable concurrence à Emirates. Et puis Oman Air, dont l’origine remonte à 1993 et qui s’était contentée d’un réseau moyen-courrier, vient d’entrer dans le grand jeu.

Finalement, au lieu d’un partage d’ailleurs très inégal entre les 3 principaux transporteurs que sont Emirates, Etihad Airways et Qatar Airways, il faudra bientôt compter sur 6 opérateurs qui tous veulent leur place au soleil avec l’entrée dans la danse de Kuwait Airways, Gulf Air et Oman Air. Or cette concurrence accrue arrive à un mauvais moment.

Le premier danger pour ces compagnies vient paradoxalement de la baisse des prix du pétrole. Oh, bien sûr, elles paient leur carburant au même prix que leurs concurrents occidentaux ou asiatiques, mais les ressources de leurs Etats basées essentiellement sur les redevances pétrolières - sauf pour Dubaï - ont été singulièrement diminuées. Par voie de conséquences, les gouvernements en place ne peuvent plus soutenir leur transporteur national comme cela a été le cas dans le passé. Contrairement à l'idée généralement répandue, les aides ne prenaient pas la voie des subventions, mais souvent celles de prêts à long terme et sans intérêt ou la mise à disposition, certes payante également, d’aéroports modernes et de grande qualité comme cela est le cas pour Dubaï, mais aussi et très récemment du Qatar, avec le nouvel aéroport Hamad International.

Cela a conduit les compagnies à revoir à la baisse leurs plans d’expansion et mêmes pour certaines à repenser leur stratégie, comme Etihad Airways qui s’est lancée dans une politique d’acquisition de transporteurs en difficulté pour accroitre le volume de son bilan. Sauf que ces reconversions ne sont pas faciles.

Pendant la période d’euphorie, les transporteurs du Golfe ont commandé des avions en énorme quantité. A ce jour, les 6 transporteurs nommés plus haut disposent d’une flotte de 625 appareils, mais ils en ont 762 en commande. Et même si certaines commandes ont pu être annulées, mais il faut alors payer les pénalités, il reste à recevoir une flotte considérable. Or pour l’utiliser, les compagnies devront disposer de droits de trafic en constante progression.

Et c’est sans doute le deuxième facteur de fragilité. Ces droits reposent certes sur des traités signés en bonne et due forme par les Etats, mais ceux-ci sont soumis à des aléas politiques dont les effets peuvent être considérables. Surtout lorsque les changements brutaux affectent la première puissance mondiale, les Etats-Unis. L’administration Trump n’a pas fait de mystère sur sa volonté de protéger par tous moyens le pavillon américain. Cela signifie que les accords actuels entre les états du Golfe et les USA ont forcément du plomb dans l’aile et qu’en tous cas, ils ne pourront pas être développés facilement. Alors les compagnies pourront toujours se tourner vers l’Asie, mais la concurrence des transporteurs chinois ou d’Asie du Sud Est et de l’Inde devient de plus en plus puissante.

Les premières conséquences se font sentir. Les profits des compagnies du Golfe sont en forte diminution, même si pour certains dont Emirates, ils restent encore enviables. Les premiers licenciements sont non seulement envisagés, mais planifiés, à Etihad Airways par exemple.

Il sera intéressant de voir comment les transporteurs du Golfe vont traverser cette difficile conjoncture. Ils ont fait preuve de sagacité pour se développer, il n’y a pas de raison pour qu’ils ne puissent pas faire face.

Jean-Louis BAROUX