Où commence l’espionnage ? Ou finit la sécurité ?

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Les voyageurs d'affaires sont - a priori - de grands garçons qui n'ont guère besoin d'être suivis à la trace comme on le ferait avec des adolescents à la sortie du lycée. Et pourtant, si l'on en croit différentes associations de voyageurs d'affaires aux États-Unis, il semblerait bien que les entreprises soient désormais décidées de suivre leur périple à la trace. Officiellement pour des raisons de sécurité. Officiellement seulement, car on imagine mal le danger qu'il y aurait à affronter dans les rues de San Francisco ou de Berlin.

L'ultra numérisation des outils dédiés aux déplacements professionnels donne parfois le sentiment d'un flicage permanent du voyageur d'affaires. D'autant, et les spécialistes du I.T. le confirment jour après jour, que tout ce qui existe aujourd'hui sert à la fois de mouchard et de témoins en temps réel de l'activité de celui qui les utilise. L'envoi d'un mail à partir d'un serveur de messagerie centralisée, la consultation de datas sur les serveurs de l'entreprise, les échanges avec une assistante ou des collègues sont autant d'éléments qui permettent de savoir, en temps réel, où se trouve et ce que fait le voyageur. Du moins si on le souhaite.
Depuis quelques années, et pour des raisons de sécurité, il est désormais accepté par tous que l'on puisse suivre le voyageur à la trace. Dans son intérêt, dit-on. Mais cette intrusion permanente de Big Brother dans la vie quotidienne du voyageur commence à lacer pour ne pas dire énerver. À tel point, que plusieurs associations de voyageurs (dont la Business Traveller Association) s'interrogent sur les limites juridiques et morales de tels systèmes. Aux USA, un pays qui ne légifère pas comme la France sur des points de détail du quotidien, cette réflexion a de quoi surprendre. Du côté des entreprises, les services de sécurité affirment que le regard porté sur les voyageurs d'affaires n'est guère plus appuyé que celui qui existe déjà pour l'ensemble des salariés qui se déplacent au nom de l'entreprise. On aurait envie de les croire si des exemples contraires ne venaient démontrer que cette curiosité va bien au-delà du simple déplacement professionnel. Doit-on pour autant limiter les contrôles ? Certainement pas, disent les juristes qui savent que l'entreprise est naturellement responsable de tout ce qui pourrait arriver à l'un de ses salariés. Réciproquement, ces mêmes juristes affirment que le salarié est responsable vis-à-vis de l'entreprise de ses actions et du message qu'il transmet à ses interlocuteurs. Dans un pays où le libéralisme est une règle essentielle, cette approche peut étonner. D'autant que pour nous, Français, savons parfaitement que l'entreprise ne peut se permettre une intrusion dans notre vie privée sans le justifier.
Dans bien des cas, l'entreprise en sait beaucoup plus que ne l'imagine le salarié en déplacement. Les exemples de messagerie surveillée, de lignes téléphoniques vérifiées ou de GPS contrôlés sont pléthore. Il reste à trouver quelle solution proposer aux salariés car aux USA, et c'est eux qui le disent, les voyageurs sont prêts à abandonner leurs déplacements pour retrouver une sérénité et une vie privée qui ne regarde pas l'entreprise.

Marcel Lévy