Où vont les alliances ?

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Les trois grandes alliances qui dominent le transport aérien ont été créées entre 1997 et 2000, c’est-à-dire qu’elles ont maintenant 20 ans pour la Star Alliance, 18 pour Oneworld et 17 pour Skyteam. Elles sont nées au moment où les compagnies traditionnelles ont commencé à percevoir les effets, négatifs pour elles, de l’univers concurrentiel dans lequel elles devaient évoluer alors qu’elles n’étaient absolument pas préparées à cela.

Elles ont donc monté des périmètres défensifs. Et reconnaissons que, dans l’ensemble cela a plutôt bien marché. A ce jour, et sans compter les transporteurs affiliés, Star Alliance réunit 27 compagnies, fait voler plus de 4600 avions vers 1270 aéroports et 192 pays. Les deux autres sont très proches : 14 compagnies, 3320 appareils, 990 aéroports 152 pays pour Oneworld alors que Skyteam est constitué de 20 compagnies, 4460 appareils, 1064 aéroports et 172 pays desservis. Les chiffres sont tout de même très impressionnants. A elles trois les alliances font voler 1,813 milliards de passagers soit 60% du trafic mondial, le tout avec seulement dirait-on 61 compagnies alors que l’on compte plus de 900 transporteurs réguliers dans le monde.

C’est assez dire à quel point elles dominent le marché.

Mais, est-ce si sûr ?

Le système marche lorsqu’il est verrouillé et que chaque membre d’une alliance doit assurer l’alimentation de ses partenaires et réciproquement. Seulement on constate de sérieuses brèches dans cette coopération.

Cela a commencé par des accords de « code share » signés à l’extérieur de l’alliance, voire même avec des membres d’une alliance concurrente. Air France, par exemple, détient des « codes shares » avec Air Malta, Montenegro Airlines, Ukraine International Airlines, Etihad Airways, Air Seychelles, Luxair, Air Serbia, qui ne font pas partie de Skyteam mais a même signé avec Austrian Airlines ou Croatia Airlines lesquels sont membres de l’alliance concurrente Star Alliance.

Mieux même, Lufthansa, le principal promoteur de la Star Alliance vient de passer un accord de coopération important avec Cathay Pacific laquelle est l’un des fondateurs de Oneworld. Mais on voit encore plus fort : American Airlines l’un des deux leaders de Oneworld avec le groupe IAG, entre au capital de China Southern l’un des piliers de Skyteam.

Et pendant ce temps-là les liens historiques qui existaient entre Air France et Alitalia sont en train de se déliter à tel point que le transporteur italien coupe ses « code shares » avec son homologue français alors que l’un été l’autre étaient arrivés à une forme de coopération très étroite par le passé. Curieusement la dénonciation des accords entre les deux transporteurs est prise sous l’influence du nouveau bailleur de fonds d’Alitalia, pour combien de temps encore d’ailleurs, lequel est représenté par celui qui était le promoteur des mêmes accords côté Air France, j’ai nommé Bruno Matheu.

Dès lors, on peut sérieusement se poser la question de la continuité de ces ensembles qui sont quand même très artificiels. La concurrence entre les membres d’une même alliance est toujours aussi vive et même s’ils arrivent à partager des salons dans certains aéroports ou à coopérer dans les programmes de fidélité, il serait vain de demander aux commerciaux d’une compagnie de travailler effectivement pour développer le chiffre d’affaires du voisin.

Il ne serait alors pas surprenant de voir progressivement se déliter ce mode de coopération. Au fond chaque compagnie veut d’abord défendre ses propres intérêts et si elle estime que le cadre de l’alliance n’est pas approprié, elle s’en affranchit allègrement.

L’arrivée inéluctable du NDC (New Distribution Capability) imposé par IATA, sous d’ailleurs la pression des grands transporteurs qui font tous partie d’une alliance, à la notable exception d’Emirates, ce qui d’ailleurs n’a pas empêché cette dernière de coopérer avec Qantas membre de Oneworld, va probablement amener les grandes compagnies à revoir leur stratégie de distribution et de commercialisation.

Les alliances y résisteront-elles ?

Jean-Louis BAROUX