Ouigo, il faut savoir lire entre les lignes

2337

Depuis le 2 avril, les rames OUIGO, le TGV low cost de Sncf, s’élancent. Qui dit low-cost ou bas coût, dit services allégés ou contraintes supplémentaires. On sait déjà tout de l’offre. Peut-être pas tout, en fait ! Avez-vous lu les conditions générales de vente ? Vous savez, ce texte accessible sur les pages du site par le lien CGV. Allez, soyons francs, il n’y a jamais personne qui lit ça !

Ouigo, il faut savoir lire entre les lignes
Personne, sauf PAT, notre chroniqueur ferroviaire, à qui nous avons demandé de s’y coller et de nous livrer une étude comparée des Conditions Générales de Vente de Ouigo avec celles de la Sncf. Etude comparative restituée avec parfois l’impertinence de PAT. On vous le dit, il est bien le seul à être allé vérifier tout ça !

Dans ces CGV, des détails pas toujours en défaveur de Ouigo, des erreurs ou des omissions parfois et des choses lourdes qui font vraiment la différence et que le voyageur devra prendre en compte en toute conscience, sauf à être vraiment déçu. Et enfin des bizarreries qui, cahier des charges et obligations de l’entreprise publique obligent, l’empêchent de faire totalement à sa guise.

Lecture commentée.

Nul n’est censé ignorer les CGV de Ouigo

« Le voyageur doit prendre connaissance des conditions générales de vente. Celles-ci sont accessibles sur le site Ouigo ».

Et pour les conditions générales de la Sncf, nous direz-vous ? C’est pareil, non ? Non, ce n’est pas pareil. Vous pouvez certes lire aussi ces dernières en ligne à la rubrique «Train, guide du voyageur» du site voyages-sncf.com sous le libellé «Tarifs Voyageurs de la Sncf» (c’est le titre administratif desdites CGV). Mais ces conditions sont également «tenues à la disposition des voyageurs qui peuvent les consulter sur demande» (en gare, en boutique Sncf).

Par contre, pour les CGV de Ouigo c’est non ! C’est sur le site Ouigo et nulle part ailleurs. Et chaque voyageur «doit» (sic) en prendre connaissance ! Ah mais ! Malgré le ton comminatoire des CGV, il y a lieu de penser que les connaissances des voyageurs ne seront pas vérifiées à bord. Mais, en cas de litige, nul doute qu’on saura les leur rappeler.

Fait étrange, voyages-sncf.com la filiale de distribution en ligne de Sncf, propose sur ses pages d’accéder aux CGV de la maison-mère mais alors qu’elle propose aussi un espace de vente Ouigo, aucun accès vers les CGV spécifiques ni avertissement à ce sujet ! Amis juristes et organisations consuméristes, à vous de jouer pour ce qui n’est peut-être qu’un oubli temporaire.

Il y a bagage (Sncf) et bagage (Ouigo)

Ouigo limite les dimensions des bagages : 36 x 27 x 15 cm pour le bagage à main et 45 x 30 x 25 cm pour le bagage cabine (55 x 35 x 25 selon les fiches d’information sur le site Ouigo, allez donc savoir…). Au-delà de deux bagages, ou en cas de dépassement des dimensions autorisées, option bagage supplémentaire obligatoire : 5 € en ligne, 40 € à bord. Raison de plus pour savoir si pour un bagage cabine c’est 45 x 30 x 25 ou 55 x 35 x 25 !!? Les quelques centimètres de différence entre l’information commerciale et les CGV sont peut-être une marge de tolérance ?

En tout état, 30 kg maximum de poids unitaire chez Ouigo. Et pas plus de 2 mètres dans la plus grande longueur pour un bagage dit supplémentaire.

Cet ensemble de limitations qui n’existent pas dans les services classiques de la Sncf, si ce n’est que le nombre de ces bagages, leur volume et leur poids doivent permettent au voyageur de les porter «aisément» et «sans risques» pour les autres voyageurs.

On notera cependant que pour les Tarifs Voyageurs de la Sncf, outre les skis, planches à voile et poussettes, un bagage c’est un sac de voyage ou un sac à dos, contenant des objets et effets personnels du voyageur. Ce qui exclut normalement les cartons, malles et conditionnements «maison». Ouigo étend l’acceptation à «tout colis à main affecté à un but de voyage».

On m’appelle low-cost, mais je ne parle que le français !

Les CGV vous préviennent. Le Centre de Relation Client de Ouigo est uniquement disponible (sic) en français.

Or, la plateforme qui assure l’interface avec le client n’opère pas dans une contrée lointaine ou exotique avec un personnel peu qualifié. C’est la plateforme Ligne Directe (36-35) de la Sncf qui réalise cette prestation à Valence, dans la Drôme. Et comme ailleurs au 36-35 de la Sncf, on y parle à l’occasion plusieurs langues… mais pas pour les appels passés pour Ouigo ! Simple envie de pousser l’image du modèle à fond, y compris sans aucune économie d’échelle ? De quoi en tout cas amener un peu d’eau au moulin des détracteurs du modèle «3ème classe».

Le site ouigo.fr lui-même ne propose pas d’autre version qu’en français, bien qu’il n’aurait certainement pas été difficile à dupliquer (et dans ce cas, en au moins également une deuxième langue européenne, conformément à la législation).

Paiement par carte bancaire : plus restrictif

Le paiement en ligne par carte bancaire est la règle puisque la commande à distance sur le site Internet est le mode de distribution unique. A priori, le paiement des options souscrites à l’embarquement (surplus de bagage, animal) se fait également uniquement par carte bancaire bien que cela ne soit pas explicitement indiqué dans les conditions générales.

Il est important de savoir que Ouigo n’accepte que les cartes bancaires CB, Visa ou Mastercard.

Pour mémoire, Sncf maison-mère accepte quant-à elle également à ses points de vente (gares et boutiques), les cartes American Express et Cofinoga quand elles sont dotées d’une puce.

Mineurs seuls, pas recommandé

Dans un article des CGV de Ouigo, il est recommandé aux parents de ne pas laisser les personnes mineures voyager seules.

Pas interdit, mais recommandé de ne pas le faire. Force est de constater que les CGV de la Sncf ne formulent pas de telles recommandations. Même si cela va un peu sans dire ou tout au moins que ce soit en toute conscience des responsables légaux sur le degré d’autonomie desdits mineurs.

Embarquement entre 30 minutes et 5 minutes avant le départ

Le voyageur Ouigo est censé se présenter au contrôle d’embarquement 30 minutes avant le départ du train. L’accès à la rame n’est plus garanti dans les 5 dernières minutes, ce qui laisse supposer qu’il l’est encore avant. L’accès au quai est totalement fermé 2 minutes avant le départ.

Dans une foule en attente, s’il y a de l’attente à l’embarquement, tout cela ne sera pas forcément aisé à apprécier et Ouigo aura intérêt à avoir une organisation solide pour ne pas se laisser dépasser.

Ces contraintes sont sans doute aussi les plus difficiles à prendre en compte pour les voyageurs Ouigo. Et on peut penser qu’elles devront, par la force des choses, être appliquées avec discernement. Mais il faut être bien conscient que les CGV Ouigo réservent au personnel de la Sncf le pouvoir d’enjoindre aux retardataires de quitter la zone d’embarquement sans espoir de remboursement de leur titre de transport ni indemnité d’aucune sorte.

Lorsque sur son parcours d’approche jusqu’à Marne la Vallée, un voyageur aura subi un retard sur une ligne exploitée par la Sncf et ratera ainsi son embarquement à bord de Ouigo, sans doute l’aura-t-il très mauvaise ! Il n’est pas certain que Ouigo s’en tirera à chaque fois avec son client comme ses concepteurs l’ont prévu !

En effet, Ouigo ne pourra sans doute pas longtemps souligner et faire valoir d’un côté son appartenance à la Sncf, avec du personnel Sncf et la qualité somme toute prêtée à la Sncf, sinon attendue d’elle. Et de l’autre côté, refuser de prendre en compte des aléas, contretemps et autres situations particulières qui de surcroit seraient le fait d’une branche de l’entreprise publique !

Des règles et une politique qui vont être soumis à l’épreuve des faits. Le modèle Ouigo redonne de la valeur au Tgv® classique. Mais il ne faudrait pas qu’il ternisse l’image de la Sncf, une et indivisible.

Suppression de train

C’est encore une disposition des CGV de Ouigo susceptible de poser de gros problèmes aux voyageurs.

Lorsque vous voyagez avec Sncf sous couvert de ses Tarifs Voyageurs constituant ses propres conditions générales, en cas de suppression de train vous êtes replacé dans le premier train utile.

Avec Ouigo, non. Le replacement se fait sur une autre circulation Ouigo… s’il y en a une et s’il y a des places disponibles. On ne sait rien des priorités de replacement. En fonction de l’antériorité de la commande ? Du prix payé ? Où les femmes et les enfants d’abord ? On ne sait pas. C’est bien là une partie du problème.

Ce qu’on sait, c’est qu’en cas d’impossibilité de replacement, la commande sera remboursée à 120 %. Ou à 110 % en cas de refus des nouvelles conditions horaires par le voyageur si l’annonce de la suppression avec proposition de report a été faite entre 20h00 la veille mais au moins 2 heures avant le départ. Et à 120 % encore pour une suppression de dernière minute, à moins de deux heures de délai de prévenance.

Avec un billet à 10 €, le voyageur récupèrera au mieux 12 € et n’aura plus qu’à aller s’acheter un billet de la gamme Loisirs ou Pro des Tarifs Voyageurs de la Sncf pour prendre place à bord d’une rame «normale». Titre de transport qui sera vendu aussi, on s’en doute à un prix normal, donc plein pot, conséquence habituelle du défaut d’anticipation et clientèle devenue captive oblige.

Remboursement qui sera réalisé par bon d’achat électronique valable un an. Il reste toutefois possible au voyageur, par une démarche spécifique en contactant le Centre de Relation Client, de demander le remboursement par crédit sur le compte courant bancaire associé à la carte de paiement utilisée lors de la commande.

Retard de train

Avec Ouigo, oubliez la Garantie Ponctualité (anciennement Engagement Horaire Garanti), insérée dans la Garantie Voyage® de Sncf.

Vous vous rabattrez sur les seules dispositions du règlement européen 1371/2007. Les retards y sont moins favorablement compensés que ce que pratique la Sncf maison-mère (et dire qu’il y en a qui se plaignent encore !). Les compensations Ouigo ne commencent qu’à partir de 60’ de retard et se font à hauteur de 25 % jusqu’à 119’. 50 % au-delà. Pour mémoire, la palette des compensations de la Garantie Ponctualité de la Sncf est quant-à elle plus large : à partir de 30’ seulement et jusqu’à 75 %.

Compensation proactive (c'est-à-dire qu’il n’y a rien à faire pour la demander) en bon d’achat électronique valable un an. Il reste possible, en contactant le Centre de Relation Client, d’exiger à la place un remboursement par crédit sur la carte de paiement.

Du fait des bas prix, la compensation pour retard sera souvent pingre. Mais est-ce parce qu’un euro est un euro dans le modèle proposé aux voyageurs que Ouigo ne fixe pas de seuil minimal en-dessous duquel cette compensation ne serait pas versée (soit en bon d’achat, soit en remboursement par crédit sur la carte de paiement) ? Pour la Sncf, cette compensation en euros n’est en effet accordée que si elle est au moins égale à 5 €.

Règles de vie à bord

Les CGV Ouigo comprennent un chapitre sur les règles de vie à bord.

Il y est notamment stipulé que le voyageur doit aider les personnes âgées à installer leur bagage.

Il est aussi rappelé à chacun que pour jeter ses détritus, il convient de se déplacer jusqu’à la poubelle située en plateforme. Cela va sans dire, mais encore mieux en le disant. Rien sur la corvée des WC mais il est quand même indiqué qu’il faut veiller à en respecter la propreté.

Les petits ou gros écarts sont passibles à l’occasion d’une contravention (135 €).

Pas d’accompagnant sur le quai !

Il faudra voir comment cela passe réellement en opérationnel mais les CGV prévoient que seuls les voyageurs ont accès au quai de départ du train Ouigo. Pas question donc d’accompagner un parent, un ami, un mineur jusqu’à sa place. Une règle parfois également mise en œuvre, avec discernement, par la Sncf quand elle procède à ce qu’elle nomme l’accueil embarquement dans le cadre de la lutte anti-fraude (barrières et contrôle général en bout de quai).

Le courant ne passe pas

La prise de courant est proposée en option payante sur Ouigo (auprès de la Sncf maison-mère, c’est l’un des éléments de confort de la 1ère classe, compris dans le prix).

Alors que les conditions générales de la Sncf sont totalement silencieuses sur les problèmes qui pourraient survenir du fait de l’utilisation ou du mauvais fonctionnement de ces prises, laissant donc totalement ouvert le sort de toute réclamation à ce sujet, Ouigo se protège radicalement : «Tout dommage causé aux appareils que le Voyageur prend l’initiative de brancher sur la prise électrique relève de la seule responsabilité de ce dernier et SNCF ne fera droit à aucune réclamation à ce titre».

Une clause qui, en cas de litige, pourrait bien s’avérer abusive.

Papiers, s’il vous plait !

Le titre de transport Ouigo est nominatif et incessible. Le voyageur doit donc être en mesure de justifier de son identité à toute demande. Il est évident que, pour des raisons de fluidité, ce contrôle d’identité ne sera pas systématiquement réalisé mais laissé, en nombre et en fréquence, à la discrétion du contrôleur (superviseur).

Le défaut de justificatif d’identité ou la divergence des indications de celle-ci avec les éléments enregistrés lors de la commande équivaut à une absence de titre de transport. Régularisation au tarif maximum de la grille tarifaire Ouigo majoré de 10 € (et encore, normalement et seulement si le voyageur s’est manifesté auprès du contrôleur). A défaut de s’être manifesté, même tarif maximal de la grille tarifaire, plus 25 €. Ce sont les règles habituelles (et légales) de régularisation des voyageurs sans titre de transport ou sans titre de transport valable à bord des autres trains de la Sncf.

En cas de défaut d’impression du billet ou de mauvaise qualité de celle-ci, ou encore de batterie du téléphone mobile déchargée ne permettant pas de télécharger le M-billet, la justification d’identité permet de retrouver le passager sur la liste des voyageurs attendus. Mais moyennant un supplément de 5 €.

Les pièces d’identité acceptées par Ouigo sont : carte nationale d’identité, passeport, permis de conduire, titre de séjour. Livret de famille accepté pour les enfants.

Dans un cas similaire (contrôle des Billets Imprimés® en ligne ou des e-billet), la SNCF maison-mère n’énumère étrangement comme pièce d’identité acceptée que : carte nationale d’identité, passeport, carte de séjour. Elle ne semble pas goûter au permis de conduire. On se demande pourquoi ? Comme quoi un toilettage de sa réglementation ne serait peut-être pas inutile non plus.

Prix cassé toujours & Réduction sur le prix low-cost

Ce n’est probablement qu’une erreur de plume ou un défaut de mise à jour, mais les rédacteurs des CGV spécifiques Ouigo ont pour l’heure fixé l’indemnité maximale due par un voyageur en situation manifeste de fraude à 128 € (en sus du prix maximum du billet dans la gamme tarifaire s’entend). Dans les CGV de la SNCF, c’est 135 €.

Ouigo aurait-il sa place à tenir dans les « petits prix » ?

Les prix Ouigo s’échelonnent de 10 € à 85 € selon l’anticipation. 5 € pour les enfants de moins de 12 ans. 20 € pour chacun des voyageurs groupés par 4 ou 8 (mini-groupes) dans les limites du nombre de places disponibles à ce tarif. Prix garantis toujours moins chers que le plein tarif Loisir de la gamme tarifaire Sncf.

Pour les cas exceptionnels (comme les CGV les désignent) où pourtant ce tarif Ouigo s’avérerait plus onéreux que le tarif réduit social auquel pourrait prétendre le voyageur, un mécanisme de garantie tarifaire a été institué. Sont (potentiellement) concernés les bénéficiaires des tarifs familles nombreuses, billets populaires de congés annuels et les titulaires de la carte des réformés pensionnés de guerre. Le voyageur concerné est alors invité à demander le bénéfice rétroactif de ce meilleur tarif social en écrivant un courrier à la direction marketing de Ouigo dans les 7 jours suivant la date de voyage. Modalités précises d’accomplissement de cette formalité à l’article 6.3.3 des CGV.

Ces dispositions des CGV permettent de mesurer la difficulté qu’il y a sans doute eu à un créer une gamme tarifaire spécifique à Ouigo à l’intérieur de l’activité SNCF-Voyages de l’Epic Sncf. Par similitude, IDTGV est une filiale de Sncf non soumise de la même façon à la tutelle tarifaire aussi étroite des pouvoirs publics.

Les CGV Ouigo n’ont pas oublié non plus les titres de transport gratuits remis en application de l’article L.515 du Code des pensions militaires aux familles des militaires morts pour la France pour se rendre sur les lieux d’inhumation (article 6.3.2 des CGV). Une procédure spécifique de commande auprès du Centre de Relation Client a été instituée.

De la difficulté de la liberté tarifaire, même low-cost, en agissant dans le cadre réglementaire et administratif contraint qui est celui de la Sncf !